02 July 2008

Juin 2008. Reportage en Israel avec les réfugiés africains

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ROME – C’est un triste anniversaire que celui de la Journée mondiale des réfugiés du 20 juin. En effet, pendant le mois qui s’est à peine achevé, le long des frontières européennes sont morts au moins 185 migrants et demandeurs d’asile, desquels 173 pour le seul Canal de Sicile. Quatre hommes sont décédés aux Canaries, après avoir été hospitalisés en graves conditions après leur débarquement. En Italie, à quelques jours d’intervalle, deux irakiens ont été retrouvés morts dans deux containers débarqués au port de Venise à bord de ferry partis de Grèce. En Turquie, deux migrants ont perdu la vie dans un accident du camion dans lequel ils voyageaient cachés dans la province orientale de Dogubayazit, pendant qu’un citoyen somalien a été tué par un projectile durant de violentes protestations qui ont explosées dans le camp de détention de Kirklareli, prêt de la frontière bulgare. Et un projectile a aussi tué trois réfugiés le long de la frontière égyptienne avec Israël. Une des victimes est une petite fille soudanaise de sept ans, tué le 28 juin dernier.

La route du Sinaï se confirme comme la nouvelle route des réfugiés érythréens et soudanais, qui aux prisons libyennes et à la mort en mer préfèrent l’Etat hébreu. En 2007, d’après l’Unhcr, sont arrivés au moins 5.000 réfugiés. Pendant ce temps, l’Egypte a renforcé ses propres dispositifs de contrôle, autorisant la police des frontières à ouvrir le feu sur les migrants. Depuis le début de l’année, les tués sont au moins 16. Mise sous pression par Israël, l’Egypte a lancé une vaste opération d’arrestations et de déportations, touchant plus particulièrement les érythréens. Selon Amnesty International, sur un total de 1.600 érythréens détenus dans les camps de détention égyptiens, 810 ont déjà été déportés depuis le 11 juin 2008. Il s’agit de la plus importante déportation jamais organisée ces dernières années de la part de l’Egypte qui pourrait marquer le passage à une nouvelle période de répression au Caire. Pendant ce temps ceux qui ont réussi cherchent une nouvelle vie en Israël.

Har Zion street numéro trois. C’est l’une des adresses de la diaspora érythréenne à Tel­-Aviv. Un immeuble de trois étages, occupé par une centaine de réfugiés de la Corne de l’Afrique. Les matelas sont partout. Sur les paliers des escaliers, dans les couloirs. Beyené ouvre la porte d’une chambre de quatre mètres de côté, ils y dorment à treize. A onze heures du matin la télévision est allumée et quelques-uns sont encore au lit. Beyené est érythréen. Il est à Tel-Aviv depuis 25 jours. Il est entré par l’Egypte. Il est parti du Soudan avec sa femme. Mais elle, elle est encore détenue à Ketziot, le camp de détention israélien dans le désert du Sinaï. Beyené est seulement l’un des environ 10.000 demandeurs d’asile entrés en Israël ces dernières années. Tout a commencé en 2006 avec environ 1.200 entrées depuis le Sinaï, six fois plus que les 200 de l’année précédente. Et puis les 5.500 arrivées en 2007 et les déjà 2.000 du premier trimestre 2008. Ils sont surtout soudanais et érythréens. Et ce n’est pas un hasard. Le 30 décembre 2005, 4.000 agents égyptiens en tenue anti-émeute assaillent les quelques 3.500 réfugiés soudanais qui depuis trois mois occupaient le parc “Mustafa Mahmoud” du quartier résidentiel de Mohandessin, au Caire, à quelques centaines de mètres des bureaux du Haut-Commissariat des Nations Unis pour les réfugiés, demandant à être réinstaller dans un Pays tiers. A la fin des affrontements on dénombra 26 morts, parmi lesquels 7 femmes et 2 enfants. Le climat de répression en Egypte, l'impossibilité de retourner dans leur patrie, au Darfour comme au sud du Soudan, et les risques du voyage en mer vers l’Italie, ont ouvert une brèche dans la barrière de fil barbelé qui sépare l’Egypte d’Israël. Et aux convois de soudanais ont succédé ceux des réfugiés érythréens, nombre d’entre eux fuyant le Soudan, où le 2 juin le gouvernement a ordonné la fermeture des bureaux de l’opposition érythréenne.

Beyené vivait à Khartoum depuis deux ans. Avec sa femme ils ont payé 800 euros par personne pour le voyage vers Assouan, en Egypte. Un voyage relativement simple, dit-il, moins dur que la traversée du désert vers Kufrah, en Libye. D’Assouan au Caire ils sont arrivés par le train. A la gare les attend un connection man. Encore 700 dollars par personne et en l’espace de quelques jours ils sont parti pour la frontière. Un bout de route en camion. Et puis à pied, de nuit, en plein désert, jusqu’à ce que les guides, égyptiens, coupent avec des cisailles la barrière d’un mètre de haut de fil barbelé et qu’ils leurs disent d’attendre les patrouilles de l’armée de l’autre côté. Une fois interceptés, ils sont conduits au camp de Ketziot. C’est un camp de toile de 1.200 places, inauguré en juillet 2007 dans la cour d’une prison aux portes de Gaza utilisée pour la détention administrative des prisonniers politiques palestiniens. La femme de Beyené est encore là-bas. Lui a été relâché avec un document temporaire de “conditional release”. Pendant ce temps-là on peut travailler, mais seulement dans la ville qui a été assignée. A la mi-juillet le permis temporaire arrive à échéance. Ils devraient le lui renouveler, mais rien n’est moins sûr. En attendant la demande d’asile est en suspens auprès de l'Unhcr, qui pourtant n’a pas assez de personnel pour affronter les entrevues, et se concentre plutôt sur les demandes de libération des migrants détenus à Ketziot et sur la recherche de régularisations collectives, comme le permis temporaire d’un an récemment délivré aux 600 soudanais du Darfour et le permis de travail de six mois donné à environ 2.000 érythréens. Les réfugiés reconnus par l’Acnur et par le gouvernement israélien sont seulement 86. Entre temps, le 19 mai 2008, le parlement israélien a approuvé en première lecture la modification de la loi anti-infiltration: reconduite immédiate à la frontière et 5 ans de prison pour délit d’immigration clandestine, 7 pour les citoyens des Etats ennemis: Iran, Afghanistan, Liban, Libye, Soudan, Iraq, Pakistan, Yémen et Palestine. La proposition de loi revient maintenant devant la commission et sera votée deux fois encore. Et cependant, sur les bancs du Parlement il n’y a aucune proposition de loi sur l’asile. Les motifs sont si nombreux. La question politique des réfugiés palestiniens et plus généralement des réfugiés des Etats ennemis précités, la possible arrivée d’une partie des deux millions de réfugiés irakiens résidents en Syrie et Jordanie et la question idéologique de l’Etat hébreu. A Tel-Aviv tout le monde dit: “We are not supposed to be an immigration State, but a Jew State”. Nous ne sommes pas un Etat d’immigration mais un Etat hébreu. A être les bienvenus il n’y a que les environ 180.000 travailleurs étrangers employés dans le Pays - népalais, chinois, thaïlandais, indiens ou philippins – mais seulement parce qu’ils sont tenus avec un permis de séjour temporaire et sans possibilité de regroupement familial.

Et la situation des érythréens ne montre pas de signe d’amélioration, pas même en Libye. D’après l'Agence Habeshia, à Mishratah sont encore détenus, depuis plus de deux ans, 700 hommes, 60 femmes et 30 enfants, tous érythréens. Et 133 autres érythréens seraient détenus à Ijdabiya, après avoir été arrêtés en mer, durant les heures où le Premier ministre italien Silvio Berlusconi s’envolait vers Tripoli pour une rencontre éclair avec Kadhafi, le 27 juin dernier. Sur la table des tractations l'engagement à financer en partie le système radar pour le contrôle de la frontière sud de la Libye, comme contrepartie au déblocage des patrouilles conjointes dans les eaux libyennes, conformément aux accords du 29 décembre 2007. Les bateaux sont prêts, a dit le ministre de l’Intérieur Maroni. Mais quelles seront les règles d’engagement de la mission? Et quelles sont aujourd’hui les règles d’engagement de la mission de patrouille de Frontex dans le Canal de Sicile, Nautilus III? Frontex garde la plus grande discrétion possible. Durant le question time au parlement, le premier ministre maltais Lawrence Gonzi a déclaré “top secret” les règles des opérations, où sont engagés des moyens logistiques d’Italie, Malte, France, Allemagne, Espagne et Grèce. Mais un journaliste allemand a réussi à rompre le silence. Il s’appelle Roman Herzog et dans son dernier documentaire audio, Guerra nel Mediterraneo, la Garde de Finance italienne admet que certaines unités navales de Frontex saisissent les vivres et le carburant des bateaux des migrants pour les obliger à s’en retourner vers les ports de départ. Une pratique qui n’a pas été démentie par le directeur de Frontex Ilkka Laitinen, interviewé à propos du documentaire.

La Libye a rapatrié à ses frais 30.940 immigrés en 2007 et réclame une aide d’un milliard d’euros. En 2006 la Libye avait rapatrié 64.430 immigrés pour une dépense de quatre millions d’euros. Pourtant les arrivées sur les côtes italiennes ont plus que triplé durant les cinq premiers mois de 2008: 7.077 au lieu des 2.087 de la même période en 2007. Toujours plus de femmes (11% pour 8% l’année dernière) et toujours plus de réfugiés de la Corne de l’Afrique (30%), en particulier du Soudan et de la Somalie. Et toujours plus d’embarcations parties de l’Egypte plutôt que de la Libye pour éviter les refoulements. Et du même coup augmentent les tragédies. Durant les six premiers mois, les morts dont on a l’information dans le Canal de Sicile sont au moins 311, desquels 173 pour le seul mois de juin. Pour toute l’année 2007 les victimes documentées avaient été 556. La dernière hécatombe, le 7 juin, a coûté la vie à 140 personnes. Wali Adbel Motagali est l’unique survivant. Dans une interview au quotidien égyptien al-Ahram il a raconté: “J’ai rencontré un homme au marché al-Jumua de Tripoli qui m’a proposé un voyage pour l’Italie pour 1.000 dollars. Le 5 juin on nous a conduit à l’ouest de Tripoli, où nous sommes restés deux nuits durant. Ensuite ils nous ont faits monter à bord d’une embarcation qui ne pouvait pas transporter plus de 40 personnes et après à peine une heure de navigation le moteur s’est cassé. Nous avons tenté en vain de le réparer. Peu après nous avons commencé à prendre l’eau. A cause de l'agitation de quelques-uns pris de panique parce qu’ils ne savaient pas nager la barque s’est retournée et beaucoup se sont noyés”. Des autres tragédies il n’y a ni témoin ni survivant. Mais seulement les cadavres repêchés en haute mer ou qui refont surface le long des côtes maltaises et siciliennes.

De l’autre côté de la Méditerranée, l’Espagne refait parler d’elle à travers le dernier rapport publié par Amnesty International sur les conditions de vie des migrants en Mauritanie, un des principaux pays de transit vers les Canaries. Depuis 2006 des milliers de personnes ont été détenues dans le camp construit à Nouadhibou avec des fonds espagnols et ensuite renvoyées à la frontière avec le Sénégal et avec le Mali. Amnesty révèle les rapports entre l’Espagne et la Mauritanie, pour ensuite aborder le point critique des refoulements en mer de 5.000 personnes oeuvre des patrouilles de Frontex dans l’Atlantique, avec un cas d’étude sur l’épisode des 369 passagers du Marine I, interceptés en mer le 30 janvier et maintenus en détention dans des conditions dégradantes pendant des mois, avant le rapatriement de la plupart d’entre eux, en Inde, Pakistan, Sri Lanka et Guinée. Pendant ce temps plus au nord, les migrants bloqués au Maroc sans papiers, tentent de rejoindre Ceuta et Melilla quel qu’en soit le prix. A la nage, ou bien en assaillant les postes de frontière, comme cela s’est produit le 22 juin à Melilla, quand 70 migrants sub-sahariens ont tenté de franchir de force le poste de contrôle de Beni-Enzar, entre Nador et Melilla. Une cinquantaine d’entre eux ont été arrêtés et seront expulsés. Des autres on a perdu la trace.

Ils seront bientôt expulsés en Algérie et de là au Mali. Comme c’est arrivé à l’un des survivants du naufrage de Hoceima du 28 avril dernier, arrêté et abandonné dans le désert, à Tinzaouatine. Comme lui au moins 12.200 migrants africains ont été arrêtés et déportés en 2007 dans la région de Tamanrasset, dans le sud-est algérien. Ce Pays, qui vit pourtant déjà le drame de sa propre émigration, a récemment adopté une nouvelle loi sur l’immigration qui prévoit la création de centres de détention pour migrants, jusque-là gardés dans des prisons, locales délabrées ou des postes de police. Pour la première fois, Fortress Europe est en mesure de montrer un reportage photographique sur les arrestations et les déportations dans le désert algérien, réalisé par Bahri Hamza. Si les nouveaux camps, voulus par l’Europe, serviront à arrêter les migrants il n’est pas possible de le savoir. Mais en attendant un rapport à peine publié par l’Oim démonte la thèse fondatrice des politiques d’opposition à l’immigration africaine, en démontrant chiffres à l’appui que depuis l’Afrique sub-saharienne n’est en cours aucune invasion et que la majorité des migrants sans papiers arrivent avec un visa de touriste et non pas sur les charrettes de la mer.

Traduit par Vincent Cousi