Winny devant le centre d'expulsion de Chinisia, photo de Alessio Genovese
Winny est partie de Hollande. Les cheveux blonds, les yeux verts et un sourire toujours prêt à illuminer son visage, sauf lorsqu’il se fond dans un regard sombre et mélancolique offusqué par des idées noirs. La grossesse la fait paraître plus âgée de ses vingt-trois ans. Les policiers en service au centre d'identification et d'expulsion de Chinisia, près de la ville de Trapani en Sicile, où son mari Nizar est emprisonné, la reconnaissent de loin et ne lui demandent même pas ses papiers. Elle a l’autorisation à lui rendre visite deux fois par jour. Les parloirs sont situés sous le chapiteau sur la place, sous l'œil attentif et un peu jaloux de cinq agents qui les contrôlent à vue. Ils parlent peu et en anglais. Le reste se passe par les regards. Il pose ses mains sur son ventre rond pour sentir son enfant bouger. C’est un garçon, le nom n'a pas encore été choisi. La seule chose sûre est que dès qu’il sera né, Nizar se fera un autre tatouage sur le bras. Une petite étoile avec les initiales de son fils, à côté de l'étoile la plus grande avec le W comme Winny.
C’est le tatouage qu’il s’est fait faire en Grèce, avant leur mariage. Le coup de foudre remonte à l'été 2010 sur l'île de Kos, où tous les deux travaillaient comme animateurs dans un village touristique. Elle avait vingt-deux ans et lui vingt-huit. Après seulement trois mois, il lui a demandé de l'épouser et elle, qui n'avait jamais cru au mariage, lui a répondu sans hésiter oui. Après le mariage, ils ont déménagé à Sousse, en Tunisie, chez la famille de Nizar. Ils ont acheté un terrain et ont commencé à construire une maison. La révolution est venue rapidement, comme une tempête, sans affecter leurs projets. Les problèmes sont arrivés plus tard, avec la grossesse.
Alors que son ventre se formait, Winny, après les premières visites dans les hôpitaux de Sousse, avait décidé d'accoucher dans les Pays-Bas. Nizar n'a pas objecté, mais au contraire il est allé à Tunis pour demander un visa. Le refus des Hollandais est venu comme une gifle pour le réveiller assez brusquement de son monde des rêves. Avait-il oublié ses dix années en Europe, les empreintes digitales, le premier débarquement en Sicile, le racisme? Winny lui remontait le moral. Un avocat aurait tout réglé, il ne devait pas désespérer. Il était marié à une citoyenne européenne et allait avoir un bébé qui aurait la nationalité néerlandaise. Pour une fois, la loi était de leur côté.
Mais au contraire l'avocat allait lui donner le second coup. Pour faire appel, cela allait prendre cinq mois. Winny, qui entre-temps était partie en était déjà à son quatrième mois de grossesse. Ainsi elle risquait d’accoucher toute seule, avant qu'il ait obtenu une réponse du juge. Nizar ne pouvait pas l'accepter. Il avait pris le risque une fois, il était prêt à le refaire. Bruler la frontière n’avait jamais été aussi facile. Il avait trouvé les contacts pour s’embarquer et à la mi-avril il était parti à destination de Lampedusa, En cache - Pages similaires+1 publié par vous pour ce contenu Annulerl’île sicilienne appartenant à la province d'Agrigente en pleine mer Méditerranéen. Cela semblait facile. Quelques jours plus tard, il fut rapatrié mais avec sa tête dur, il revint à Zarzis et essaya une seconde fois de rejoindre Winny.
Cette fois, cependant, elle ne l’a pas laissé le faire seul. Dès qu'elle a appris de son départ elle est montée sur le premier avion pour l'Italie. Les deux jeunes amoureux ont également fait un recours contre l'arrêté d'expulsion, en sachant qu’entre-temps, les Hollandais avaient accordé un visa Schengen à Nizar pour des raisons familiales. Mais le temps passait, jour après jour, et la réponse du juge tardait. Alors que la date de l’accouchement approchait, insouciante de la lenteur chronique de la justice italienne. Le reste s'est passé pendant l'une des visites quotidiennes de Winny à Nizar.
Une fois l'entrevue terminée, elle quitte le terrain, quand soudain elle est saisie d'un malaise accompagné de fortes contractions, ce qui fait immédiatement penser à un accouchement prématuré imminent. Elle cherche du regard son mari, mais il a déjà été emmené dans sa cage. L'ambulance arrive peu de temps après, elle se dirige vers l'hôpital de la ville de Trapani. Nizar derrière les barreaux continue à crier qu'on le laisse partir. Mais la police ne l’écoute pas jugeant le risque de fuite trop élevé. Nizar est aveuglé de colère et blessé. Et si les agents de police ne sont pas capables de se mettre à sa place, les 83 prisonniers tunisiens détenus dans le centre le font très facilement. Sa colère devient celle de tous les autres. C'est désormais le moment de la révolte.
Les détenus commencent à démanteler les structures des tentes où ils sont logés, pour s'armer de bâtons et de fers. Et quand, à neuf heures du soir, les agents ouvrent la porte pour laisser entrer un nouveau retenu, il est déjà trop tard. Les détenus se lancent contre la porte et poussent jusqu'à forcer l'ouverture. Dans un corps-à-corps avec les agents en service, les Tunisiens arrivent à prendre le dessus et puis se dispersent dans toutes les directions à travers les vignobles et les oliveraies, couverts par la nuit tombante.
Nizar est avec eux. Malgré les coups sur son genou, il continue à courir en faisant glisser sa jambe blessée. Caché par les arbres, il suit de loin les feux de la police sur la route pour Trapani. Winny est encore à l'hôpital mais va mieux, c'était une fausse alerte, pas de douleurs. Elle sort de l’hôpital le lendemain et elle peut enfin le rencontrer. Mais il n'y a pas de temps pour les câlins. La police est sur leurs traces. Ils doivent quitter l'Italie. Winny prend un vol sur Ryanair. Nizar voyage par voie terrestre, sans papiers.
D'abord un bus, puis un train, un bateau et un autre train à nouveau. Trois jours de voyage. Jusqu'à ce qu’ils se retrouvent à la gare d’Eindhoven, aux Pays-Bas. Nizar est épuisé mais enfin libre d'embrasser la femme qu'il aime. Juste à temps pour la peinture dans la chambre du bébé et pour être là au moment de la naissance de Rafael qui est né à l'aube, le 15 août, entre deux interviews à la télévision néerlandaise, qui a fait de cette histoire une affaire nationale.
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traduit par Veronic Algeri
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C’est le tatouage qu’il s’est fait faire en Grèce, avant leur mariage. Le coup de foudre remonte à l'été 2010 sur l'île de Kos, où tous les deux travaillaient comme animateurs dans un village touristique. Elle avait vingt-deux ans et lui vingt-huit. Après seulement trois mois, il lui a demandé de l'épouser et elle, qui n'avait jamais cru au mariage, lui a répondu sans hésiter oui. Après le mariage, ils ont déménagé à Sousse, en Tunisie, chez la famille de Nizar. Ils ont acheté un terrain et ont commencé à construire une maison. La révolution est venue rapidement, comme une tempête, sans affecter leurs projets. Les problèmes sont arrivés plus tard, avec la grossesse.
Alors que son ventre se formait, Winny, après les premières visites dans les hôpitaux de Sousse, avait décidé d'accoucher dans les Pays-Bas. Nizar n'a pas objecté, mais au contraire il est allé à Tunis pour demander un visa. Le refus des Hollandais est venu comme une gifle pour le réveiller assez brusquement de son monde des rêves. Avait-il oublié ses dix années en Europe, les empreintes digitales, le premier débarquement en Sicile, le racisme? Winny lui remontait le moral. Un avocat aurait tout réglé, il ne devait pas désespérer. Il était marié à une citoyenne européenne et allait avoir un bébé qui aurait la nationalité néerlandaise. Pour une fois, la loi était de leur côté.
Mais au contraire l'avocat allait lui donner le second coup. Pour faire appel, cela allait prendre cinq mois. Winny, qui entre-temps était partie en était déjà à son quatrième mois de grossesse. Ainsi elle risquait d’accoucher toute seule, avant qu'il ait obtenu une réponse du juge. Nizar ne pouvait pas l'accepter. Il avait pris le risque une fois, il était prêt à le refaire. Bruler la frontière n’avait jamais été aussi facile. Il avait trouvé les contacts pour s’embarquer et à la mi-avril il était parti à destination de Lampedusa, En cache - Pages similaires+1 publié par vous pour ce contenu Annulerl’île sicilienne appartenant à la province d'Agrigente en pleine mer Méditerranéen. Cela semblait facile. Quelques jours plus tard, il fut rapatrié mais avec sa tête dur, il revint à Zarzis et essaya une seconde fois de rejoindre Winny.
Cette fois, cependant, elle ne l’a pas laissé le faire seul. Dès qu'elle a appris de son départ elle est montée sur le premier avion pour l'Italie. Les deux jeunes amoureux ont également fait un recours contre l'arrêté d'expulsion, en sachant qu’entre-temps, les Hollandais avaient accordé un visa Schengen à Nizar pour des raisons familiales. Mais le temps passait, jour après jour, et la réponse du juge tardait. Alors que la date de l’accouchement approchait, insouciante de la lenteur chronique de la justice italienne. Le reste s'est passé pendant l'une des visites quotidiennes de Winny à Nizar.
Une fois l'entrevue terminée, elle quitte le terrain, quand soudain elle est saisie d'un malaise accompagné de fortes contractions, ce qui fait immédiatement penser à un accouchement prématuré imminent. Elle cherche du regard son mari, mais il a déjà été emmené dans sa cage. L'ambulance arrive peu de temps après, elle se dirige vers l'hôpital de la ville de Trapani. Nizar derrière les barreaux continue à crier qu'on le laisse partir. Mais la police ne l’écoute pas jugeant le risque de fuite trop élevé. Nizar est aveuglé de colère et blessé. Et si les agents de police ne sont pas capables de se mettre à sa place, les 83 prisonniers tunisiens détenus dans le centre le font très facilement. Sa colère devient celle de tous les autres. C'est désormais le moment de la révolte.
Les détenus commencent à démanteler les structures des tentes où ils sont logés, pour s'armer de bâtons et de fers. Et quand, à neuf heures du soir, les agents ouvrent la porte pour laisser entrer un nouveau retenu, il est déjà trop tard. Les détenus se lancent contre la porte et poussent jusqu'à forcer l'ouverture. Dans un corps-à-corps avec les agents en service, les Tunisiens arrivent à prendre le dessus et puis se dispersent dans toutes les directions à travers les vignobles et les oliveraies, couverts par la nuit tombante.
Nizar est avec eux. Malgré les coups sur son genou, il continue à courir en faisant glisser sa jambe blessée. Caché par les arbres, il suit de loin les feux de la police sur la route pour Trapani. Winny est encore à l'hôpital mais va mieux, c'était une fausse alerte, pas de douleurs. Elle sort de l’hôpital le lendemain et elle peut enfin le rencontrer. Mais il n'y a pas de temps pour les câlins. La police est sur leurs traces. Ils doivent quitter l'Italie. Winny prend un vol sur Ryanair. Nizar voyage par voie terrestre, sans papiers.
D'abord un bus, puis un train, un bateau et un autre train à nouveau. Trois jours de voyage. Jusqu'à ce qu’ils se retrouvent à la gare d’Eindhoven, aux Pays-Bas. Nizar est épuisé mais enfin libre d'embrasser la femme qu'il aime. Juste à temps pour la peinture dans la chambre du bébé et pour être là au moment de la naissance de Rafael qui est né à l'aube, le 15 août, entre deux interviews à la télévision néerlandaise, qui a fait de cette histoire une affaire nationale.
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