02 December 2008

Libye: reportage depuis le camp de détention de Misratah

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Vista sul cortile del carcere di MisratahMISRATAH – Durant la nuit, dans la cour de la prison, on entend le son de la mer. Ce sont les vagues de la Méditerranée, à une centaine de mètres du centre. Nous sommes à Misratah, 210 km à l'est de Tripoli, en Libye. Les prisonniers sont des réfugiés érythréens: 600 personnes, âgés de 20 à 30 ans, dont 58 femmes et plusieurs enfants et bébés. Arrêtés au large de Lampedusa ou dans la banlieue de Tripoli, ils sont oubliés dans cette prisons depuis deux ans, sans procès. Ce sont eux les premières victimes de l’accord italo-libyen contre l'immigration. Ils dorment par terre dans des chambres sans fenêtres, 4 mètres pour 5, entassés jusqu'à 20 personnes par chambre. Ils sont autorisés à sortir dans la cour fermée, sous le regard attentif de la police libyenne. Leur faute? Avoir tenté de rejoindre l'Europe afin de chercher asile.

La diaspora érythréenne passe par Lampedusa et Malte. Depuis 2005 au moins 6.000 réfugiés de l'ancienne colonie italienne ont débarqué sur les côtes siciliennes, en fuyant de la dictature de Isaias Afewerki. La situation à Asmara est toujours critique. Amnesty International dénonce harcèlement et arrestations des opposants et des journalistes. Et la tension avec l'Éthiopie reste élevée, de sorte que 320.000 Erythréens sont contraints au service militaire à durée indéterminée, dans un pays qui compte 4,7 millions d'habitants. Chaque année, des milliers désertent l'armée et se fuient. La plupart s’arrêtent au Soudan: où il y a plus de 130.000 réfugiés Erythréens. D’autres traversent le Sahara, la Libye et enfin atteignent la Méditerranée en quête de l'Europe.

Vista sul cortile del carcere di MisratahLa première fois que j'ai entendu parler de Misratah il a été au printemps 2007, au cours d'une réunion à Rome avec le directeur du Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR) de Tripoli, Mohamed al Wash. Quelques mois plus tard, en Juillet 2007, grâce à une association érythréenne, nous avons réussi à contacter téléphoniquement un groupe de prisonniers érythréens. Ils se plaindraient des conditions de surpeuplement, du manque d'hygiène, et de la précarité de leur état de santé, en particulier pour les femmes enceintes et les bébés. Ils accusaient aussi certains agents de la police de harcèlement sexuel aux femmes. À l’époque, Amnesty International avait déjà exprimé sa profonde préoccupation pour le risque d’expulsion des Érythréens arrêtés en Libye. Le 18 septembre 2007, la diaspora érythréenne organisa des manifestations dans les principales capitales européennes en demandant leur libération.

Il direttore del carcere di Misratah, colonnello Abu UdLe directeur du camp, le colonel ‘Ali Abu ‘Ud, connaît bien les rapports internationaux sur Misratah, mais les nie: «Tout ce qu'ils vous ont dit c’est faux" dit-il fièrement. Il siège en veste et cravate, derrière un bouquet de fausses fleurs dans son bureau, au premier étage. De la fenêtre je vois une cour avec plus de 200 détenus. Abu 'Ud a visités en Juillet 2008 certains centres d'accueil en Italie, avec une délégation libyenne. Il parle de Misratah comme d’un hôtel cinq étoiles par rapport aux autres centres de détention libyens. Et probablement il a raison ... Après une longue insistance, avec un collègue de la radio allemande, Roman Herzog, il nous permet de parler aux réfugiés érythréens. Nous descendons dans la cour, et nous divisons. Moi je interview F., un refugié âgé de 28 ans, qui a passé 24 mois de sa vie dans cette prison. Pendant qu'il parle je me rends compte que je ne suis en train de l'écouter. En fait, je cherches tout simplement de m’imaginer a sa place. Nous avons à peu près la même âge, mais lui il est en train de jeter dans la poubelle les meilleures années de sa vie, oublié dans cette prison.

Vista sul cortile del carcere di MisratahDans le coin opposé de la cour, Roman réussis à parler à un réfugié loin des agents de la sécurité qui nous suivent partout et traduisent tout au chef. Il s’appelle S.. Il parle librement: "Mon frère, nous sommes dans une mauvaise situation ici, nous sommes torturé, mentalement et physiquement. Nous sommes ici depuis deux ans et on connait pas notre avenir. Vous le voyez vous-même, Regardez!". Entretemps, l'interprète les rejoint et informe le colonel, qui interrompt l'entretien et demande à S. si il ne veut pas rentrer en Érythrée. Roman invite les réfugiés à marcher vite vers les chambres avant que le directeur les interrompt à nouveau."Nous sommes tous des Érythréens - il continue -. Je suis rentré en Libye en 2005. Nous demandons l'asile politique, par rapport à la situation chez nous. Mais le monde ne s’intéresse pas de nous. Il n'est pas facile rester deux ans en prison, sans aucun confort. Nous sommes en prison, nous ne sommes pas autorisés à voir le monde extérieur. Tout ce que nous avons besoin, c'est la liberté ".

À l'intérieur de la chambre il y a 18 personnes assises par terre, sur des couvertures et des matelas sales. La chambre mesures quatre mètres par cinq. Il n'y a pas de fenêtres. "Il est trop surpeuplés - dit S. - Nous ne pouvons pas voir la lumière du soleil et il n'y a pas d'air. En été, il fait très chaud, et les gens tombent malades. Et en hiver c’est le même, il fait très froid la nuit". La chambre à coté est plus grande, mais il y a beaucoup plus de personnes, toutes des femmes et des enfants. Mais il est trop tard pour parler avec eux. Les agents de la sécurité atteignent Roman et interrompent son travail. Ils veulent qu’ils parle avec un réfugié qu'ils ont choisi. "Je suis aussi un détenu" dit il à mon collègue, qui malgré tout refuse et commence à parler avec un autre réfugié. Il s’appelle J., il a 34 ans et il dit qu'il a été dans 13 prisons en Libye: "Certains d'entre nous ont fait quatre ans ici. Moi personnellement j'ai passé trois ans dans cette prison. Nous sommes dans la pire des situations. Nous n'avons pas commis des crimes, nous demandons l'asile politique. Au moins qu’ils nous disent pourquoi! Personne nous informent. Que va-t-il nous passer? Même le HCR ne nous parle pas. J'ai perdu l'espoir ... J’étais 60 kg quand je suis entré, maintenant mon poids est de 48 kg, imaginez pourquoi .. "

Vista sul cortile del carcere di MisratahLe colonel Abou Ud suit la conversation avec l'aide de l'interprète, il ne peut plus supporter ça: "Est-ce que vous voulez rentrer en Érythrée?" Il demande à J. "Je préfère plutôt mourir – il lui réponde - comme tout le monde ici". Le directeur est en colère, il commence à menacer: «Si vous voulez rentrer en Érythrée, nous vous rapatrions aujourd’hui même". "Ils nous interdisent de parler avec vous», explique J. à Roman. Le directeur est furieux. Il crie à l’interprète "Dites-leur qu'ils seront tous retournés". Ensuite, il s’approche à Roman et lui ordonne: «Terminé». Roman proteste, «Nous avons fini" insiste Abu ‘Ud, tandis que deux agents nous tirent pour les bras vers la sortie. Avant de quitter la cour, le colonel parle haut et fort à tous les réfugiés: «Si vous vous sentez maltraités ici, nous organisons votre retour immédiatement. Vous avez déjà refusé de retourner dans votre pays, c'est pourquoi vous êtes ici. Mais chacun de vous est libre de rentrer chez lui! Qui veut rentrer en Érythrée? "."Personne!", répond la foule."Vous avez vu! - le colonel dit encore à Roman - Maintenant, nous avons vraiment fini."

Vista sul cortile del carcere di MisratahNous montons de nouveau dans le bureau du directeur. Avec une voix très nerveux, il essaie de nous convaincre de son engagement. L'ambassade érythréenne a envoyé ses fonctionnaires ici, afin d'identifier les prisonniers, deux fois. Mais les réfugiés ont refusé de les rencontrer. Ils ont même organisé une grève de la faim. Compréhensible, je pense, étant donné qu'ils seraient persécutés dans leur patrie. Et la Libye devraient l’avoir déjà compris le 27 août 2004, quand un vol d'expulsion vers l'Erythrée fut détourné au Soudan par ses propres passagers. Mais le concept de l'asile politique n'est pas clair aux autorités libyennes. Dans leur esprit, ils ne font que des patrouilles de la frontière européenne. Et si ils prennent des Érythréens ou des Nigérians, ils ne voient pas de différence. Jusqu’à ce que les réfugiés érythréens refusent de retourner dans leur pays, ils vont rester en prison. Sauf si ils ont la chance d'être réinstallés en Europe par le HCR, ou si ils parviennent à s'échapper.

Soldato libico di fronte alla sede dell'Acnur a TripoliHaron a 36 ans. Il a laissé son épouse et ses deux enfants en Érythrée quand il a fuit en 2005, après 12 années de service militaire non rémunéré. Il a passé deux ans dans la prison de Misratah. La Suède vient d’accepter sa demande de réinstallation. Il va quitter la Libye trois jours après notre visite, le 27 Novembre 2008, avec un groupe de 26 réfugiés érythréens de Misratah, y compris des femmes. La réinstallation est la seule carte que le HCR peut jouer en Libye. Les 34 premiers femmes érythréennes partirent de Misratah en Novembre 2007 et furent réinstallés en Italie. Pour Rome, il était la premier réinstallation des réfugiés depuis la crise du Chili en 1973. Mais l'opération fut censurée par le bureau de presse du Ministère italien de l'intérieur, afin d'éviter toute controverse possible avec les parties xénophobe de la droite.
Depuis lors, plus de 150 réfugiés ont été transférés de Misratah, en Italie (70), Roumanie (39), Suède (27), Canada (17), Norvège (9) et Suisse (5). La personne qui me donne ces chiffres s’appelle Oussama Sadiq. Il est le coordonnateur des projets de International organisation for peace care and relief (Iopcr). Une importante ONG libyenne, qui prétend être non-gouvernementale même si à son intérieur travaillent des anciens fonctionnaires du ministère de l'Intérieur et de la sécurité. L’Iopcr est tellement influent que le HCR a accès à Misratah sous sa couverture. Oui, dans un pays traversé chaque année par des milliers de réfugiés Érythréens, Soudanais, Somaliens et Éthiopiens, le HCR compte moins d'une ONG. En fait, la Libye n'a jamais signé la convention des Nations unies sur les réfugiés, mais permet au HCR de travailler dans son pays, même si sans un accord officiel. Lutter pour la libération des réfugiés détenus à Misratah pourrait briser ce faible équilibre diplomatique. C'est pour ce-là que le HCR préfère travailler avec un profil décidément bas, en évitant de critiquer la Libye.

Messa africana alla chiesa di San Francesco, a TripoliDe toute façon la majorité des prisonniers n'ont aucune chance d'être réinstallés par le HCR. Pour eux la seule voie de sortie c’est la fuite. C’est l’histoire de Koubros. Je le rencontre sur l'escalier de l'église de San Francesco, près de Dhahra, à Tripoli, après la messe du vendredi matin. Un groupe d'Érythréens en file, attendent l’ouverture du bureau de la Caritas. Koubros a passé un an à Misratah. Il avait été arrêté à Tripoli lors d'un rafle dans le quartier Abou Selim. Il a réussi à échapper à l'hôpital où il avait été conduit après être tombé malade en prison. Une fois de retour à Tripoli, il a de nouveau été arrêté et emmené à la prison de Twaisha, près de l'aéroport international. Certains amis ont recueilli 300 dollars et ont corrompu un policier qui l’a laissé sortir. Assis à son coté il y a Tadrous, un autre érythréens qui vient d'être libéré de la prison de Surman. Lui il l’ont pris dans la mer, sur un bateau en route pour Lampedusa, et puis ils l’ont condamné à 5 mois de prison. Il est venu ici pour chercher un docteur, car en prison il a pris la gale. Nous lui demandons de nous accompagner à Gurgi, dans la banlieue de Tripoli, là où vivent les Érythréens. Il dit que c’est trop dangereux. Les réfugiés vivent cachés dans la ville. Notre présence pourrait alerter la police et causer une rafle. Y. n’est pas d’accord avec lui. Il vit dans une zone différente. Nous le suivons.

Le taxi s'arrête sur une rue près de Shar'a Ahad 'Ashara, la onzième route, à Gurgi. L'appartement appartient à une famille tchadienne, qui loue les deux petites chambres au premier étage à sept Érythréens. Nous enlevons nos chaussures avant d'entrer. Par terre il y a de tapis et de couvertures. Dans cette chambre, ils y dorment en cinq. La télévision, relié à la grand parabole sur le toit, montre les vidéo de chanteurs érythréens. C'est un endroit sûr, disent-ils, car l'entrée de la maison passe par le salon de la famille tchadienne, qui vivent ici depuis longtemps. Les réfugiés viennent de se déplacer ici, après les dernière rafles policières à Shar'a 'Ashara. Maintenant, quand ils entendent la sirène de la police il ne s’inquiètent plus. Ils nous offrent du chocolat, une sauce tomate avec du pain, une 7-Up et du jus de poire.

Nous continuons à parler de leurs expériences dans les prisons libyennes. Chacun d'eux a été arrêté au moins une fois. Et chacun est sorti grâce à la corruption. Il faut seulement payer 200 à 500 dollars à un policier, n’importe lequel, et il te libèrent. L'argent arrive avec Western Union par le réseau de solidarité de la diaspora érythréenne qui vit en Europe et en Amérique.

Robel aussi a passé un an à Misratah. Il nous montre son certificat de demandeur d'asile délivré par le HCR. Il est valable jusqu'au 11 Mai 2009. Mais il fait pas confiance a ce papier: "Un de mes amis a été arrêté quand même, la police a déchiré le certificat sous ses yeux." Il nous montre un appel à la communauté internationale qu’il avait écrit à Misratah avec un groupe de six étudiants Érythréens.

Sur le mur, près du poster de Jésus, je vois la photo d'une petite enfante. Quelqu'un a écrit à côté son nom: Delina. Je la connais. Oui elle jouait ce matin sur les escaliers de l'église, avec Tadrous. Elle aussi va risquer sa vie en mer. "L'important, c'est d'arriver dans les eaux internationales", nous explique Y.. Les intermédiaires Érythréens (dallala) qui organisent la traversée, ont des réputation différents. Il y a ceux sans scrupules et il y en a d’autres, dont vous pouvez leur faire confiance. Mais le risque reste toujours élevé. Je ne peux pas n’y penser durant mon vol de retour à Malte. Confortablement assis et un peu ennuyé, je lis sur mon carnet d'adresses les e-mail des Érythréens rencontrés à Tripoli. Il ya un mois, un ami Ethiopien m'avait donné le numéro de téléphone d'un gars bloqué à Tripoli après avoir échoué la traversée de la mer. Gibril. J'ai essayé de l'appeler plusieurs fois, mais son téléphone cellulaire était toujours éteint. J’entend encore l’échos du message automatique en arabe. J'espère qu'il soit en sécurité quelque part en Italie ou en Libye. Et pas ... Bonne chance, Delina.


(Mes remerciements à Roman Herzog qui a contribué à cet article, et sans lequel il n’y aurait pas eu ce voyage)

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