Deux cents Tunisiens sont gardés en otage par le gouvernement italien depuis plus d'un mois. Deux avocats tentent de les défendre, mais se heurtent à l'obstructionnisme du ministère de l'Intérieur qui a finalement refusé le droit de défense juridique à un ancien prisonnier politique du régime de Ben Ali. Tout cela alors que reprennent les charters pour les rapatriements collectifs de Lampedusa à Tunis. Pour les éviter, à Pantelleria, certains décident de se couper les veines en signe de protestation. Mais commençons par le début de l'histoire. De ce samedi 4 juin 2011. Il est neuf heures du matin et les avocats Leonardo Marino et Giacomo La Russa se présentent à l’heure aux portes du centre d'accueil de Lampedusa, Contrada Imbriacola. Ils sont venus de Agrigente pour rencontrer leurs clients: 16 ressortissants tunisiens retenus sur l'île depuis le début du mois de mai, dont ils ont été dûment désignés en tant qu’avocat de la défense. A l'entrée du centre, un officier de police les attend. Il est tout de suite clair que quelque chose cloche.
Il dit que, sans l'autorisation de la préfecture personne ne peut entrer. Le chef du centre, Cono Galipò, qui entre temps se présente, confirme la restriction. Certainement bizarre, si l’on considère que dans tous les centres d'identification et d'expulsion (Cie) d'Italie le droit de la défense est garanti à tous les détenus, et que chaque avocat peut rencontrer librement son assisté au sein du Cie, sans aucune autorisation préfectorale. Les deux avocats le savent et montrent les actes de nomination signés (et dûment authentifiés par un fonctionnaire de la municipalité de Lampedusa) par leurs 16 clients. Mais à la fin il n'y a rien à faire, et les deux avocats décident de poser la question directement à la préfecture d'Agrigente, le centre d'accueil de Lampedusa tombant sous sa responsabilité.
Elisa Vaccaro répond au téléphone. Les deux avocats lui rappellent le principe de l'inviolabilité du droit à la défense et expliquent qu'ils ne demandent pas à visiter le centre, mais à rencontrer leurs clients dans les locaux mis à disposition par l'OIM (Organisation internationale pour les migrations), à l'extérieur de la zone de rétention. Mais il n'y a rien à faire. Le préfet adjoint, Vaccaro, évoque la circulaire 1305 du 1er avril 2011, désormais célèbre, qui interdit l'entrée aux centres d'accueil et d’expulsion à toute personne n'étant pas sous contrat avec les préfectures, et appelle les avocats à soumettre une demande officielle au ministère de l'Intérieur.
N'ayant pas d'autre choix, à 11:33 Marino et La Russa envoient un fax pour une Demande pour un entretien défensif c/o cpsa de Lampedusa au Bureau du Cabinet de la préfecture d'Agrigente, au Département des libertés civiles et de l'immigration du ministère de l'Intérieur et pour connaissance à l'OIM à Rome, indiquant l'extrême urgence de leur instance.
Seulement à 19h15, après dix heures d'attente, arrive enfin l'autorisation de la préfecture d'Agrigente dans laquelle les deux défenseurs sont autorisés à parler avec leurs clients, mais pas avec tous. Oui, parce que le ministère de l'Intérieur a décidé que les avocats ne peuvent répondre qu’aux ressortissants tunisiens qui ont fourni au moment du débarquement les mêmes généralités avec lesquels ils ont signé une procuration pour nommer leur propre avocat. Sept clients sont ainsi privés du droit à la défense, ayant donné, au moment de l'identification, des généralités qui n'ont pas été confirmées au moment du passage de la procuration aux défenseurs.
Parmi ces derniers, le cas le plus délicat est celui de Gafsa, un Tunisien détenu depuis plus de 20 jours, qui a demandé l'asile politique en Italie et qui en Tunisie risque de retourner en prison pour une peine qui lui a été infligée à l’époque de Ben Ali pour avoir participé aux mouvements révolutionnaires de Redeyef de 2008, lorsque le système a arrêté le mouvement politique du bassin minier, arrêtant des centaines de personnes pour des crimes ordinaires, comme la destruction, l'incendie criminel et l’association de malfaiteurs. Dans ce cas, la personne en question avait fourni une fausse identité au moment de son arrivée à Lampedusa, encore sous le choc de la torture subie en prison avant la chute du régime et effrayée par la seule idée que les autorités consulaires tunisiennes auraient pu l’identifier et le renvoyer dans les mains de ceux qui l'avaient torturée. En France, sa femme l’attend, une ressortissante française qui, depuis Paris est en train de mobiliser des avocats de renommée internationale sur son cas. Mais l'Italie a faait son choix. Une fois encore, par une logique qui a plus l’allure de l'état de police que du droit: la personne qui a déclaré deux noms différents, quelle que soit la raison pour laquelle elle l’a fait, n'a plus droit à un avocat. N'a plus droit à la défense.
Un argument qui dans d'autres pays serait effrayant même pour une personne ignorant tout fondement juridique. Aussi effrayant que l’idée qu'un État européen en 2011 puisse garder en otage 200 personnes d’un pays voisin, la Tunisie, privés de leur liberté personnelle en dehors de toute garantie légale. Enfermés dans une structure légalement vouée à l’accueil et transformée pour l'occasion en prison. Maintenant cette histoire dure depuis un mois, voire un mois et six jours. Depuis les derniers débarquements, ce 2 mai. Depuis lors, la rétention des Tunisiens sur l'île n'a été validée par aucun tribunal, tel que requis par la loi italienne à chaque fois qu'un citoyen italien ou étranger est privé de sa liberté pour être retenu dans une prison ou dans un centre d'identification.
Dans ces cas, le code de procédure pénale est clair. L'article est le 605: enlèvement. Quiconque prive quelqu'un de sa liberté doit être puni d'un emprisonnement de six mois à huit ans. Pourquoi le bureau du procureur d’Agrigente n'a pas ouvert un fichier sur Lampedusa? Il pourrait le faire avant même que les avocats portent plainte au sujet des dommages subis par leurs clients.
Oui, parce qu'à la fin, malgré l'obstruction du ministère de l'Intérieur, certains clients ont pu quand même être rencontrés. Seulement cinq personnes, mais c’est déjà mieux que rien. Et maintenant, quelqu'un va devoir répondre de leur détention illégale.
Les quatre autres détenus qui les avaient chargés de leur défense ne sont plus sur l'île. Deux d’entre eux ont été transférés en hélicoptère à l'hôpital de Catane le 30 mai dernier suite à une tentative de suicide, et deux autres ont été rapatriés avec les vols au départ de Palerme le 27 mai et le 2 juin. Oui, parce que, entre temps, les rapatriements collectifs ont recommencé.
Sur l’île il reste seulement une centaine de Tunisiens. Le troisième vol en une semaine est parti hier de Lampedusa. À bord se trouvaient 26 passagers. Tous des Tunisiens. Identifiés par le consul à l'aéroport de Palerme et escortés par la police italienne à Tunis. Jusqu'à présent on ne sait pas grand-chose de ces rapatriements. Mais des rumeurs ont commencé à circuler. D'une part on dit qu’aucune copie écrite de la décision de retour n’est donnée aux personnes rapatriées contre laquelle toute action est donc impossible. D'autre part, on parle aussi des violences des agents de la police italienne lors des rapatriements.
Ces rapatriements, contre lesquels les protestations continuent, hélas, encore une fois suivant le mode de l’autodestruction. Après qu’à Lampedusa une trentaine de personnes, ces derniers jours, avaient avalé des lames de rasoir, des bouts de fer et de verre pour être hospitalisés d’urgence et éviter le rapatriement, hier, c'était au tour de Pantelleria, où des jeunes Tunisiens, parmi la soixantaine de prisonniers retenus dans la caserne Barone, se sont coupé la poitrine et les bras avec des tessons de bouteilles pour protester contre leur détention sur l'île qui ne cesse depuis le 27 mai dernier, demandant à être transférés à Trapani dès que possible.
Merci à Germana Graceffo, de l’association Borderline Sicilia pour les informations contenues dans son rapport de Lampedusa du 6 juin 2011.
Il dit que, sans l'autorisation de la préfecture personne ne peut entrer. Le chef du centre, Cono Galipò, qui entre temps se présente, confirme la restriction. Certainement bizarre, si l’on considère que dans tous les centres d'identification et d'expulsion (Cie) d'Italie le droit de la défense est garanti à tous les détenus, et que chaque avocat peut rencontrer librement son assisté au sein du Cie, sans aucune autorisation préfectorale. Les deux avocats le savent et montrent les actes de nomination signés (et dûment authentifiés par un fonctionnaire de la municipalité de Lampedusa) par leurs 16 clients. Mais à la fin il n'y a rien à faire, et les deux avocats décident de poser la question directement à la préfecture d'Agrigente, le centre d'accueil de Lampedusa tombant sous sa responsabilité.
Elisa Vaccaro répond au téléphone. Les deux avocats lui rappellent le principe de l'inviolabilité du droit à la défense et expliquent qu'ils ne demandent pas à visiter le centre, mais à rencontrer leurs clients dans les locaux mis à disposition par l'OIM (Organisation internationale pour les migrations), à l'extérieur de la zone de rétention. Mais il n'y a rien à faire. Le préfet adjoint, Vaccaro, évoque la circulaire 1305 du 1er avril 2011, désormais célèbre, qui interdit l'entrée aux centres d'accueil et d’expulsion à toute personne n'étant pas sous contrat avec les préfectures, et appelle les avocats à soumettre une demande officielle au ministère de l'Intérieur.
N'ayant pas d'autre choix, à 11:33 Marino et La Russa envoient un fax pour une Demande pour un entretien défensif c/o cpsa de Lampedusa au Bureau du Cabinet de la préfecture d'Agrigente, au Département des libertés civiles et de l'immigration du ministère de l'Intérieur et pour connaissance à l'OIM à Rome, indiquant l'extrême urgence de leur instance.
Seulement à 19h15, après dix heures d'attente, arrive enfin l'autorisation de la préfecture d'Agrigente dans laquelle les deux défenseurs sont autorisés à parler avec leurs clients, mais pas avec tous. Oui, parce que le ministère de l'Intérieur a décidé que les avocats ne peuvent répondre qu’aux ressortissants tunisiens qui ont fourni au moment du débarquement les mêmes généralités avec lesquels ils ont signé une procuration pour nommer leur propre avocat. Sept clients sont ainsi privés du droit à la défense, ayant donné, au moment de l'identification, des généralités qui n'ont pas été confirmées au moment du passage de la procuration aux défenseurs.
Parmi ces derniers, le cas le plus délicat est celui de Gafsa, un Tunisien détenu depuis plus de 20 jours, qui a demandé l'asile politique en Italie et qui en Tunisie risque de retourner en prison pour une peine qui lui a été infligée à l’époque de Ben Ali pour avoir participé aux mouvements révolutionnaires de Redeyef de 2008, lorsque le système a arrêté le mouvement politique du bassin minier, arrêtant des centaines de personnes pour des crimes ordinaires, comme la destruction, l'incendie criminel et l’association de malfaiteurs. Dans ce cas, la personne en question avait fourni une fausse identité au moment de son arrivée à Lampedusa, encore sous le choc de la torture subie en prison avant la chute du régime et effrayée par la seule idée que les autorités consulaires tunisiennes auraient pu l’identifier et le renvoyer dans les mains de ceux qui l'avaient torturée. En France, sa femme l’attend, une ressortissante française qui, depuis Paris est en train de mobiliser des avocats de renommée internationale sur son cas. Mais l'Italie a faait son choix. Une fois encore, par une logique qui a plus l’allure de l'état de police que du droit: la personne qui a déclaré deux noms différents, quelle que soit la raison pour laquelle elle l’a fait, n'a plus droit à un avocat. N'a plus droit à la défense.
Un argument qui dans d'autres pays serait effrayant même pour une personne ignorant tout fondement juridique. Aussi effrayant que l’idée qu'un État européen en 2011 puisse garder en otage 200 personnes d’un pays voisin, la Tunisie, privés de leur liberté personnelle en dehors de toute garantie légale. Enfermés dans une structure légalement vouée à l’accueil et transformée pour l'occasion en prison. Maintenant cette histoire dure depuis un mois, voire un mois et six jours. Depuis les derniers débarquements, ce 2 mai. Depuis lors, la rétention des Tunisiens sur l'île n'a été validée par aucun tribunal, tel que requis par la loi italienne à chaque fois qu'un citoyen italien ou étranger est privé de sa liberté pour être retenu dans une prison ou dans un centre d'identification.
Dans ces cas, le code de procédure pénale est clair. L'article est le 605: enlèvement. Quiconque prive quelqu'un de sa liberté doit être puni d'un emprisonnement de six mois à huit ans. Pourquoi le bureau du procureur d’Agrigente n'a pas ouvert un fichier sur Lampedusa? Il pourrait le faire avant même que les avocats portent plainte au sujet des dommages subis par leurs clients.
Oui, parce qu'à la fin, malgré l'obstruction du ministère de l'Intérieur, certains clients ont pu quand même être rencontrés. Seulement cinq personnes, mais c’est déjà mieux que rien. Et maintenant, quelqu'un va devoir répondre de leur détention illégale.
Les quatre autres détenus qui les avaient chargés de leur défense ne sont plus sur l'île. Deux d’entre eux ont été transférés en hélicoptère à l'hôpital de Catane le 30 mai dernier suite à une tentative de suicide, et deux autres ont été rapatriés avec les vols au départ de Palerme le 27 mai et le 2 juin. Oui, parce que, entre temps, les rapatriements collectifs ont recommencé.
Sur l’île il reste seulement une centaine de Tunisiens. Le troisième vol en une semaine est parti hier de Lampedusa. À bord se trouvaient 26 passagers. Tous des Tunisiens. Identifiés par le consul à l'aéroport de Palerme et escortés par la police italienne à Tunis. Jusqu'à présent on ne sait pas grand-chose de ces rapatriements. Mais des rumeurs ont commencé à circuler. D'une part on dit qu’aucune copie écrite de la décision de retour n’est donnée aux personnes rapatriées contre laquelle toute action est donc impossible. D'autre part, on parle aussi des violences des agents de la police italienne lors des rapatriements.
Ces rapatriements, contre lesquels les protestations continuent, hélas, encore une fois suivant le mode de l’autodestruction. Après qu’à Lampedusa une trentaine de personnes, ces derniers jours, avaient avalé des lames de rasoir, des bouts de fer et de verre pour être hospitalisés d’urgence et éviter le rapatriement, hier, c'était au tour de Pantelleria, où des jeunes Tunisiens, parmi la soixantaine de prisonniers retenus dans la caserne Barone, se sont coupé la poitrine et les bras avec des tessons de bouteilles pour protester contre leur détention sur l'île qui ne cesse depuis le 27 mai dernier, demandant à être transférés à Trapani dès que possible.
Merci à Germana Graceffo, de l’association Borderline Sicilia pour les informations contenues dans son rapport de Lampedusa du 6 juin 2011.
traduit par Veronic Algeri