03 July 2009

Spécial Niger. Sur les routes des exodants à Tchin Tabaraden

[PREMIERE PARTIE]

TCHIN TABARADEN 3 Juillet 2009 – « L'exode fait partie de notre vie. » Fati Ajina parle avec sarcasme de la situation au Niger. « Dans des endroits où un homme peux passer une semaine sans cinq francs dans la poche, avec des enfants à la maison, l’exode est la seule alternative. » A son coté, sous les lunettes de soleil, Alex acquiesce d’un signe de tête, en sirotant l’énième thé: «Tu sais – il dit - il y a des villages où un âne est suffisant comme dot pour épouser une femme, pour aller chaque jour au puit chercher de l'eau" . Nous sommes à Tahoua. Le long de la seule route asphaltée qui mène au nord du pays. Les murs d’argile de la maison sont décorées avec des rideaux et des tapis. Fati est journaliste, et est aussi la vice-maire de Tchin Tabaraden. Une ville aux portes du Sahara, qui depuis les années quatre-vingt est devenu un important point de départ des «exodants» vers l'Algérie et la Libye. Presque inconnue en Europe, depuis quelques années le nom de cette ville est devenu familier aussi dans les villages du Ghana et dans les périphéries de Benin City, au Nigeria. De plus en plus de « côtièrs » passent par ici en rêvant l'Europe. Le petit frère de Fati habite à Tchin Tabaraden et est disposé à me mettre en contact avec les chauffeurs. Je pars le lendemain matin, à bord d'un vieux quatre-quatre.

Quand nous arrivons dans la ville il fait déjà nuit. Taher m'attend sous le minaret de la mosquée. Dans les routes de sable il n'y a pas de réverbères. Tout est silencieux. Après un dîner frugal, nous nous rendons chez son oncle, Oumar, en profitant de la nuit. Les trois enfants dorment déjà au milieu de la cour de sable de la maison. Sa femme nous prépare un thé. Les deux dernières voitures sont parties hier. Les passagers étaient 50, tous nigériens. Ils vont à Ghat, en Libia. Ça fait cinq jours de voyage: 1300 km. Sur la piste il y a trois puits d’eau. Oumar est un intermédiaire. Ils trouvent les passagers et prend un pourcentage. Cinq mille francs par passager, environ 8 euros. Il a commencé comme «apprenti». Il aidait son frère dans le transport de marchandises de contrebande depuis et vers l'Algérie. La frontière algérienne est à 400 km. Et ici, toutes les marchandises sont de contrebande. Le sucre, l’huile, les pièces de rechange des moteurs. Avec l'argent qu’il a gagné, il a construit sa maison. Seulement en 2008, il a organisé le départ de 400 personnes. Au début, ils n’étaient que de nigériens, après ils sont arrivés les étrangers. Toute la ville vit de la fraude. Chaque famille a un quatre-quatre. Et le transport des «exodants» n’est qu’une petite tranche du business. Dans le désert passe du n’importe quoi: cigarettes, armes, drogues. Le beau-frère de Taher, par exemple transporte la cocaïne. La drogue arrive au Nigeria, et - à travers le Sahara – est amenée jusqu'en Égypte. Ils utilisent de nouvelles voiture, pour éviter le risque de tomber en panne dans le Sahara... Sans parler du trafic d'armes vers les bases d'al-Qaïda en Algérie, ou bien vers le Tchad et le Soudan.

Les pistes qui relient Tchin Tabaraden à la Libye furent découvertes dans les années Nonante, grâce aux milices armées des rebelles touaregs, qui à l’époque s’exerçaient en Libye et en Libye se refournissaient des armes. Ghat n’est pas la seule destination des chauffeurs de Tchin Ta. Yousuf a 10 passagers prêts à partir pour Ubari, 300 km au de là de la frontière. Il fait le voyage une fois chaque trois mois. Il amène en Libye les exodants et revient au Niger avec le ressortissants qui rentrent chez eux. Ghaliou au contraire travaille comme intermédiaire sur la route pour Awaynat. Yousuf fait ce travail depuis 1999. Il me montre sa licence, délivrée en 1998. Ils travaillent bien en automne. En Septembre, les saisonniers quittent le Pays. Ils partent travailler en Libye et en Algérie. Et ils reviennent en Février, avant de la grande chaleur, pour travailler la terre chez eux pendant la saison des pluies entre Juin et Août. Ces qui sont directs en Europe, ils voyagent dans les mêmes voitures. La traversée est très chère. Ça fait 100.000 francs (152 euros) derrière le pick-up et 250.000 (380 euros) en cabine. Un passeport coûte beaucoup moins cher. Environ 25.000 francs (38 euros). Mais dans les villages le gens ne savent même pas qu'est-ce que c’est un passeport. Beaucoup sont toujours analphabètes, et leurs pères étaient des nomades. Certains ne savent même pas qu'est-ce que c’est une pièce d’identité.

Tchin TabaradenLes accidents ne manquent pas. Mahmud a survécu pendant six jours dans le désert. Il était en Juillet 1998. Il y avait deux voitures, mais la première était tombée en panne. Les chauffeurs abandonnèrent la voiture et ses 35 passagers dans le désert. Le frère du chauffeur vint le chercher seulement six jours après. Ils se sauvèrent en buvant l'eau du radiateur. Et grâce aux couvertures qu’ils avaient amenés pour la nuit. Ils les utilisèrent pour faire de l'ombre et se réparer du soleil. Quatre ghanéens en tout cas moururent déshydratés. Dans le même voyage, Mahmud vit les restes de trois personnes près d’un des puits. Et autres 12 cadavres à coté d'une quatre-quatre abandonné dans les dunes. Les accidents continuent. Sur la route de Tchinta, le dernier a fait 15 morts, il y a six mois. Il y a les panne, les accidents, les attaques des bandits. Les morts seraient des centaines chaque année. A faire cette estimation est Inamoud, un membre touareg de Timidria, une association qui au Niger lutte contre l'esclavage, encore largement répandu chez le Touaregs et les Arabes, en dépit du récent jugement de la Cour africaine de justice sur le cas Khadijatou.

Tchin TabaradenLe lendemain, Inamoud m’amène au chantier du nouveau siège de Timidria. Nous allons en moto, en zigzagant entre les vaches au milieu des rues de sable. Nous avons rendez-vous avec Aleghid. Activiste des droits de l'homme, il est intermédiaire de profession. C’est lui qui a dénoncé le chauffeur qui était sur le point d'amener la Libye sept enfants âgés de dix ans, non accompagnés par leurs parents. Il arrive souvent, dit-il, mais nous ne nous en rendons compte que lorsque nous les voyons revenir de la Libye. Ils partent travailler. C’est leurs parents qui les envoient. En brousse, ils n’ont pas les moyens pour leur avenir, et ils ne voient pas l'utilité de les envoyer à l'école. Il s’agit d’un important précédent. Oui car tout cela ne se fait pas dans la clandestinité. Les chauffeurs doivent préparer une liste des passagers et la donner à la police et à la Mairie. Madaba confirme ça. C’est lui l’agent de la Mairie qui s’occupe des enregistrement et du paiement de la taxe de 1.000 francs (un peu plus d'un euro) par passager. Officiellement, le chauffeur déclare d’aller à Arlit. Même s'il y a des étrangers à bord, il n'y a rien d'illégal. Dans toute l'Afrique de l'Ouest il y a un régime de libre circulation. Pour un ghanéen ou un nigérian, il lui suffit une carte d'identité pour voyager au Niger. Les listes devraient servir pour réduire les accidents. Avant il passait souvent que les chauffeurs abandonnaient leurs passagers au milieu du désert. Il arrive encore, mais plus rarement, car avec la liste les familles peuvent dénoncer le chauffeur dans des cas pareils. Le lendemain matin, je reprends le chemin pour Agadez