29 December 2011

Spéciale musique et harraga: Ah Ya Lebhar


Lotfi on aime ou on déteste. Parce que ses textes ne sont pas des demi-mesures. Sa réputation de rebelle, il l’a gagnée depuis le début de sa carrière. C'était en 1997 et les policiers avaient arrêté son concert dans un théâtre d'Annaba pour censurer le contenu de ses chansons. A l’époque ça se termina par une émeute et avec Kamikaz, son premier album enregistré à l'âge de 26 ans avec son ami Waheb, avec qui il forme le duo Double Kanon. Depuis lors, chaque année il cumule un nouveau succès. Des albums comme Kamikaz, Kondamné, Kanibal, Lakamora, Kauchmar ont fait de lui le roi du rap en Algérie. Ce morceau est tiré de son album Kauchmar (2008). Il s’appelle «Ah ya Lebhar», qui signifie «O mer» et est une sorte d'hymne à brûler la frontière. Parce qu'il n'y a pas de différence entre mourir dans une cabane et mourir en pleine mer. Parce que la seule vraie bénédiction c’est d'en finir avec la pauvreté. Tous partent: avocats, mineurs, chômeurs, peintres, hommes, femmes. Et à la mer ils ne demandent qu'une chose: "Laisse-moi juste passer parce que là je déprime. Laisse-moi seulement passer car ici je vis sans joie!». Voici le texte traduit en français. Lisez-le attentivement, car c'est une des chansons les plus importantes du rap harraga. Un peu parce que Lotfi et vraiment très populaire, mais aussi parce qu'il est originaire d'Annaba, la ville où il a grandi. Annaba, en fait, a été aussi la ville de Saint-Augustin il y a plusieurs siècles, mais ces cinq dernières années c’est la capitale des harqas en Algérie. De ses quartiers populaires surplombant la mer, des milliers de jeunes sont partis en direction de la Sardaigne, en Italie, et des centaines d'entre eux sont morts en route pour ce même pays. C’est pourquoi cette chanson se termine justement avec l’évocation de leur image. Bonne écoute. Et bonne lecture.

Ah ya leb7ar

Ah ya leb7ar,
ghir 9ata3ni lahna rani mehmoum!
Ah ya leb7ar,
ghir fawatni lahna rani meghmoum!


Rab3a ta3 sba7 rendez vous aho fdalma
Jma3a rahi testena wleflouka rahi ltema
Vas y yalla! 9bel mayetla3 nhar!
Ghir cha3al lmoteur rou7 9alla3 yalba7ar
Galbi 7ar galbi skhoun w mdecidi
Koun neg3od hna 3mbali sure nsuicidi
Ma la yezzini mel 7ogra fiha baraka,
miyet fi barraka wla lil m3a l7araga.





Rani karah, khalli nrou7 b GPS,
m3aya lghers w chambre a aire b les pieces.
Koun jite labess, manriskich b 3omri.
Rana m3awrine li kifi ahom m3ammrine.
Lkoul m3ewwlin mala vas y demari!
9bal mayjina l'armée lboulici w jadarmi!
Waci dari w ngolhom na3tikom kelma,
nchalah ltema kinawsal n3ayat l yema









Ah ya leb7ar
ghir 9ata3ni lahna rani mehmoum
Ah ya leb7ar
ghir fawatni lahna rani meghmoum



W lyoum am daroulna tekhdam ta3 yhoud,
9aflou l7oudoud w3tawna bel baroud.
Mzian lbabour ya3raf l9assat
y3adi bla visa makra fi l'ambassade
Koul sba7 ahom yrou7ou bel mi2at,
ya9t3o ltalyan w dakhla 3a rochiate
liwala chad bin 3inih l'avenir
m3awal 3la rabi wd3awi ta3 lwaldine.
Wech 7aydir hadi hi 7alet cha3b
yerkeb fi flouka bach yensa chwia ta3b
7atan mba3d ahi tetbedel l3a9lia.











Yethewel lb7ar liwala yebda yat9aya,
lmouja tweli 9wia tkherej lgalb,
lflouka tetgal w 9adra meme tetguelleb.
Wach 7angolek? Yan3al bou lmiziria!
Ila t7ekmet na3tiwha la nage l Marsilia.




Ah ya leb7ar,
ghir 9ata3ni lahna rani mehmoum!
Ah ya leb7ar,
ghir fawatni lahna rani meghmoum!


Mala matloumech lira7ou lelmout.
Hna ahom yagtlouk ya takoul ya yaklouk.
T3ich makhnoug b dyoun bla 7sabat
sinon tweli bondi mbasi f le7basat.




Nass 3eddat: nssa w rjal,
sghar w des jeunes, mineurs w majeurs,
lkhedam w chomeur, joueur w chanteur,
sebagh w chauffeur, avocat w ingenieur,
koulhom jraw wra lharba f lil.
Chraw blassa lhih fi babour sghir
maykhafouch lberd les vagues ta3 metrkin,
maykhafouch l9awanine w rssas ta3 la marine.






Besa7 l3in tebki yghidouk:
bzaf li gher9o w raj3ohom fi sendou9
surtout hadouk li 7aslou ltem wa7edhom.
Dima d3ilhom w goul: "Rabi yar7amhom"



Ah ya leb7ar,
ghir 9ata3ni lahna rani mehmoum!
Ah ya leb7ar,
ghir fawatni lahna rani meghmoum!

Oh mer

Oh mer,
laisse-moi passer car ici je déprime!
Oh mer,
laisse-moi seulement passer, car ici ce n’est pas la joie!

A quatre heures du matin, rendez-vous dans le noir.
Le groupe attend et le bateau est déjà là.
Allez, vas-y! Avant que le jour arrive!
Fait tourner le moteur, vas-y, part, la mer.
Mon cœur est chaud, mon cœur est en ébullition et il a décidé
Si je reste ici, je suis sûr de me suicider
Bénit soit celui qui me tirera de l'injustice,
aussi bien mort dans une cabane ou la nuit avec les harragas.


Je suis fatigué, laisse-moi partir avec le GPS,
J'ai avec moi un chambre d’air et des pièces de rechange.
Si j'avais été bien, maintenant, je ne risquerais pas ma vie.
Nous sommes désespérés, les gens comme moi ont déjà décidé.
Nous sommes tous prêts, allez, allume ton moteur!
Avant que nous rejoignent l'armée, la police et les gendarmes!
Avertis ma maison et apporte leur mes paroles,
Si Dieu le veut, quand j’arrive j’appelle maman.


Oh mer,
laisse-moi passer car ici je déprime!
Oh mer,
laisse-moi seulement passer, car ici ce n’est pas la joie!


Aujourd'hui, on nous fait travailler comme des Juifs,
ils ont fermé les frontières, et ils nous ont tiré dessus
Heureusement, le bateau connaît des raccourcis
et te laisse partir sans visa, même sans avoir acheté ta place. À l’ambassade (dans la queue pour une demande de visa)
Chaque matin, ils s’en vont par centaines,
ils font la traversée vers l'Italie et passent entre les rochers
pour prendre le contrôle de leur avenir
en s'appuyant à Dieu et aux prières de leurs parents.
Que faire d’autre, ce sont les conditions de vie du peuple
ils montent sur un bateau pour oublier un peu leur fatigue
jusqu'à ce que la mentalité ne changera pas.

Mais ensuite, la mer change et commence à monter,
la vague grossit jusqu’à te faire exploser le cœur
la bateau ondule et va bientôt chavirer.
Que puis-je te dire? Maudit soit la misère!
S’ils arrêtent le bateau, on continue à la nage jusqu'à Marseille.

Oh mer,
laisse-moi passer car ici je déprime!
Oh mer,
laisses-moi seulement passer, car ici ce n’est pas la joie!

Et ne te plains pas pour ceux qui sont partis vers la mort.
On peut même vous tuer ici, soit tu manges soit ils te mangent.
Tu es étranglé par les dettes
ou tu deviens un gangster basé dans les prisons.

Les gens sont partis: les femmes et les hommes,
les enfants et les jeunes, les adultes et les mineurs,
le travailleur et le chômeur, le chanteur et le joueur,
le peintre et le chauffeur, l'avocat et l'ingénieur,
tout le monde s'est enfuit courant dans la nuit.
Ils ont acheté une place sur un bateau
pas peur du froid ni des vagues,
pas peur de la loi, ni des balles de la Marine.

Vraiment les yeux pleurent et tu es triste
pour tous ceux qui sont noyés, et qui sont rentrés dans un cercueil
et surtout pour ceux qui sont restés seuls.
Prie toujours pour eux et dis-toi: "Que Dieu ait pitié d'eux"

Oh mer,
laisse-moi passer car ici je déprime!
Oh mer,
laisse-moi seulement passer, car ici ce n’est pas la joie!