Quatre mercenaires africains capturés à Zliten, expliquent où ils ont été formés et comment ils sont arrivés sur le front
Tripoli est encore sous le choc du sang versé pendant les combats pour sa libération. Dans la ville on continue à chercher les mercenaires de Kadhafi. Et la peau noir continue d'être considérée comme une première indication de culpabilité. Pourtant, dans la ville il n’y a pas eu le massacre que l’on avait annoncé. Pas de règlement de comptes, pas d'exécutions sommaires de ressortissants étrangers. Au contraire dans les rues on rencontre déjà de nombreux Noirs, Libyens et étrangers, qui se baladent comme si de rien n'était, ils continuent à travailler ou même ils portent l'uniforme des rebelles. D'autres se rassemblent pour prier dans leurs églises, mais tout n’est pas rose. L'impression est que les discriminations se produisent à travers les liens sociaux. En d'autres termes, les étrangers vivant à Tripoli, qui parlent l'arabe et qui sont à l’intérieur d’un réseau de relations, se sentent protégés. Ceux qui risquent d’être agressés ou arrêtés ce sont les derniers arrivés, ceux qui vivent en Libye depuis quelques mois seulement, et qui ne connaissent personne qui puissent les défendre en cas de fausses accusations. Dans la ville il y a eu quelques agressions - heureusement seulement des cas isolés - tandis que des centaines d'Africains ont cherché refuge dans un port de Janzur, le même d’où jusqu'à il y a deux mois partaient les bateaux de pêche vers Lampedusa. Ils y resteront jusqu'à ce que la capitale ne retourne à la normale. Après tout, de nombreux Africains sont en train de faire la même chose restant enfermés dans leurs maisons, suivant les conseils des rebelles, en attendant le retour au calme. Cela semble maintenant une question de quelques jours seulement, tout au plus quelques semaines. Presque toutes les familles de Libyens qui avaient fui pendant la guerre en Tunisie et en Egypte sont déjà retournées en ville. Un bon signe. Bientôt l'économie repartira, et tout Libyen sait qu’à Tripoli, sans main-d'œuvre étrangère on ne peut rien faire.
Rabi'a a la peau noire comme la nuit de Yefren. La énième, sans électricité. Le peu de lumière qu’il y a vient de la lune et des braises de ce narguilé qu’il est en train de fumer avec ses amis, enveloppé dans un nuage de fumée blanche. Le Kalachnikov est appuyé contre le mur, toujours à portée de la main, alors que son gros couteau il l’a toujours sur lui, attaché à sa ceinture. Rabi'a est un volontaire de l'armée révolutionnaire de Yefren. Le fils d'une famille noire de l'une des principales villes des montagnes berbères du Jebel Nafusa. Rabi'a a combattu avec les partisans berbères pour défendre la ville pendant l’assaut des troupes de Kadhafi. La célèbre armée des 112, du nombre de jeunes volontaires restés combattre dans les montagnes pour libérer la ville après la fuite de ses habitants. Avec la même armée, Rabi'a a combattu pour la libération de la Zawiya et de Tripoli. Il se sent simplement l'un d'eux. Et il ne comprend presque pas nos questions. C'est son pays, personne ne lui a jamais fait remarquer ses traits africains ni la couleur de sa peau. Parce que tout d'abord il est Libyen et d’après lui la minorité historique de Noirs parmi la population libyenne est bien acceptée. Non seulement dans les montagnes, mais aussi dans les villes, et à Tripoli.
En fait, même dans la capitale on peut voir des Noirs parmi la foule, sur la place des martyrs - la vieille place verte - où chaque nuit se déversent des centaines de milliers de personnes pour célébrer la chute du régime. Quelques-uns, mais il y en a, sont même bien armés. Ils sont venus de Misrata, Zintan et Benghazi le jour de la bataille pour libérer la capitale. Ils tirent en l'air pour célébrer. Les gens les prennent en photo et leur montrent le V en ouvrant leurs doigts en signe de victoire. Personne ne semble remarquer leur peau noire. Mais il n'est pas nécessaire de porter l'uniforme de la révolution pour être respecté.
Pour s’en rendre compte il est suffisant de faire une balade dans l'un des meilleurs cafés dans le centre historique de l'ancienne médina de la capitale, à côté du bain turc ottoman, derrière ce qui reste de l’arc romain de l'empereur Marc Aurèle. Ici, un tiers des clients sont des Libyens Noirs. Les gens de Sebha, le ventre plein et les habits élégants, collés à leur narguilé tous les après-midi devant la télévision qui montre les images de la nouvelle équipe nationale libyenne qui joue au Caire contre le Mozambique, pour la Coupe d'Afrique.
Dans le même café, on remarque deux autres Noirs. Ce sont les serveurs, mais contrairement aux clients, ils ne sont pas Libyens. Compaoré est de Burkina Faso et Daoud est Sénégalais. Ils habitent en Libye depuis plus de cinq ans et ils travaillent dans ce café depuis maintenant un an. Ils ne sont pas seulement devenus des spécialistes en tabac, maintenant ils parlent couramment le dialecte libyen et dans le quartier ils connaissent tout le monde. C’est pourquoi ils se sentent en sécurité: même s’ils devaient avoir un problème avec la police, il suffirait de passer un coup de fil à leur employeur pour être défendus de toute accusation.
Brahim à la même idée en tête. Il est Tchadien. Il est arrivé en Libye avec son père il y a 20 ans, quand il était un enfant de 9 ans. Depuis, il n'a jamais bougé de l'ancienne médina de Tripoli, où il possède un magasin d'alimentation. Ces derniers mois, il n'a jamais fermé sa boutique. Et pendant que l’on parle, ses clients libyens nous confirment la bonne réputation qu’il a dans tout le quartier. Il n'est pas comme les autres, on dit. Les autres sont les 150 personnes arrêtées ces derniers jours et accusées d'être des mercenaires de Kadhafi cachés dans la Médina, après avoir abandonné le front. Beaucoup trop pour un quartier si petit et si loin de la ligne de front. Quelques jeunes Libyens armés de la Médina ont dû aller trop loin. Certainement celui qui est allé chercher Mohammad Sami a exagéré.
Mohammad Sami est un commerçant nigérien de 44 ans. Il vit à Niamey. Il vient en Libye pour travailler. Il s’occupe d’import et export. Trois mois en Libye et trois mois au Niger. Deux fois par an. En traversant le désert, pour toute une vie. Je l'ai rencontré à l'hôpital central de Tripoli. Allongé sur un lit avec de gros points de suture sur la cuisse suite à ce coup de couteau que lui a infligé son agresseur. Il n'explique pas la raison de cette agression. Son compagnon, au contraire n’a aucun doute. Il s’appelle Imed et c'est lui qui l’a emmené à toute vitesse aux urgences. Il a été attaqué parce qu'on pensait qu'il était l'un des mercenaires nigériens engagés par Kadhafi qui ces derniers jours ont semé la terreur dans la ville.
C'est aussi pourquoi de nombreux étrangers en ville restent encore cachés dans leurs maisons. Les comités locaux de la révolution s’occupent de leur apporter de la nourriture. Il y a des groupes dans chaque rue. Ils se sont organisés avec les mosquées pour la distribution de l'eau et de la nourriture. Tant les aides humanitaires qui ont atterri à Tripoli ces derniers jours, que les dons de simples citoyens libyens. Les bénévoles qui apportent les provisions dans les maisons des Africains sont les mêmes qui leur conseillent de ne pas sortir de chez eux. S’ils n’ont rien à se reprocher il vaut mieux rester à la maison pendant quelques jours, le temps que les recherches des mercenaires en fuite se terminent. Puis tout reviendra à la normale, c’est promis. Alors on viendra les chercher à nouveau, mais cette fois pour travailler.
C'est le moment que tous les étrangers qui séjournent à Tripoli attendent, bien que dans les six derniers mois, les milices de Kadhafi offraient gratuitement la traversée vers Lampedusa. Les ports utilisés pour les départs étaient trois: le port commercial de Tripoli, le port de Zuwara et le petit port de Sidi Bilel à Janzur, où environ sept cents Africains sont toujours bloqués.
Ce sont pour la plupart des Nigérians, mais aussi des personne en provenance du Mali, du Ghana , du Togo, du Soudan et du Tchad. Ils sont réfugiés à Sidi Bilel depuis un mois, quand les départs pour Lampedusa avaient été bloqués. Mais ils n’étaient pas intéressés par L’Europe. Ils étaient venus ici seulement pour rester ensemble et pour se défendre des milices de Kadhafi. Loin d'une ville en proie à la bataille finale et à l'abri du risque d'être pris pour des mercenaires durant les combats.
En attendant, cela fait déjà un mois, et ces vieux bateaux de pêche sont devenus leurs maisons. Ils dorment à bord, ou sous les coques des barques au milieu de la place, couverts par l'ombre des bâches qu’ils ont tirées entre un bateau et l'autre. Les conditions sont plutôt précaires, surtout du point de vue de la sécurité. Ces derniers jours, en effet ils ont été à la merci des voyous, des bandes de très jeunes armés qui, depuis que Tripoli est libre de temps en temps se présentent pour faire le bon et le mauvais temps, sans avoir à répondre à personne de leurs coups. Des coups de revolver en l’air et des fausses perquisitions pour embêter les filles, quelques dizaines, présentes au port.
Rien par rapport à l'incident grave survenu dimanche 21 août, le lendemain de l'entrée des rebelles à Tripoli. Ce soir, peu après le coucher du soleil, six voitures armées des rebelles ont fait irruption au port s’annonçant par des tirs de mitrailleuses en l'air pour effrayer les Africains et obliger tout le monde à se concentrer dans un secteur de la place. Là, une perquisition initiale s’est vite transformée en un pillage collectif. Ceux qui avaient de l'argent et des téléphones portables avec eux, ils ont été dérobés. Puis vint le tour des femmes. Quatre des six voitures étaient déjà repartis. Mais les garçons des deux patrouilles restées sur place, ont pris les filles et les ont emmenées derrière le bateau et jetées sur le sol dans la cour. Et là, comme ces filles ont pu raconter, elles ont été forcées à avoir des rapports sexuels.
Depuis, la situation s'est améliorée, en partie parce que cet épisode est arrivé dans la presse internationale, et le conseil de transition a demandé à la demi lune croissante, de suivre le camp libyen. C’est ainsi qu’en quelques jours, avec une équipe de Médecins Sans Frontières, l'eau potable est arrivée, puis l'alimentation et les soins de santé, et plus généralement la présence d'un minimum d'opérateurs et de journalistes qui ont jusqu'à présent évité que d'incidents comme celui du 21 août se répètent.
Cependant au port la frustration monte et de plus en plus de personnes sont impatientes de rentrer chez elles maintenant que la situation à Tripoli est en train de revenir à la normale. Kingsley et Jude n’ont aucun doute. Ils sont en Libye depuis quatre ans, ils ont les bons contacts pour trouver un emploi dès que tout recommencera. Dans la ville, de nombreuses maisons ont été ravagées par les combats, sans oublier les bâtiments gouvernementaux et les casernes détruites par les bombardements de l'OTAN.
C’est la même chose qu’attendent les Nigérians qui sont restés en ville. Des gens comme Evans, Newman et sa femme Patience. Je les ai rencontrés avant de venir au port de Sidi Bilel, alors qu’ils se promenaient, bien élégants dans le centre ville, tout juste sortis d'une célébration religieuse de l'une des églises évangéliques nigérienne à Tripoli. Ils allaient dîner chez un ami, puis ils partaient tous à Gurgi, où ce soir il y a une veillée de prière chez un membre de leur congrégation. Ils veilleront jusqu'à l'aube pour prier. C’est le signe qu’à Tripoli les choses reviennent à la normale.
traduit par Veronic Algeri