Photo de Simona Granati
Dans une petite ville près de Brescia le long des rives du lac de Garde il y a une petite fille de cinq ans qui n’a plus envi de jouer. Dans sa tête il n’y a qu’une seule question insistante: «Mais quand est-ce qu’il revient mon papa?". Parce que son papa est parti. Bien sûr, de temps en temps il appelle. Alors sa mère lui passe le téléphone. Il lui demande comment ça va et lui dit de ne pas s'inquiéter, qu’il est au Maroc et qu’il est de retour la semaine prochaine. A chaque fois la même histoire, mais il n’est toujours pas rentré à la maison. Seulement la dernière fois il avait dit quelque chose de différent. C’était le 12 juillet. « Chérie, je prends l'avion demain et rentre à la maison, tu es contente? ». Cette nuit-là, cependant, il a été retrouvé pendu à une corde dans la salle de bain de la section D du centre d'identification et d'expulsion (CIE) de Milan.
Parce que M. n'était pas au Maroc. C'était juste un mensonge pour ne pas effrayer sa fille. Pourquoi souffrir inutilement en lui disant que son père était dans une cage? Tôt ou tard, il aurait été libéré du Cie de la via Corelli, puisqu’ils n'avaient pas vu son passeport et ne pouvaient pas l’identifier. Il fallait juste attendre. L'expiration des six mois tombait justement le 12 juillet. La veille, il avait déjà préparé ses sacs avec ses affaires. Il portait sur lui un étrange bonheur. Quand soudain il fut convoqué à l'audience devant le juge de paix. Le tout a duré quelques minutes. Validé. Encore deux mois en cage. Pour lui et pour un transexuel argentin. Le deux premiers détenus des Cie en Italie à qui avait été appliqué le nouveau décret sur les rapatriements, qui prévoie jusqu'à 18 mois de prison en attendant l'expulsion.
Ce fut comme un coup de poing à l'estomac. Mais après quelques instants il trouva le moyen de réagir. Il se mit à crier toute la rage de son corps, refusa de signer la validation et, enfin, il retourna soumis à sa cellule. Comment expliquer tout cela à sa fille? Avec quels mots? M. ne pensa à rien d’autre pendant toute la soirée. Heureusement, quand ils le virent aller aux toilettes, ses compagnons de cellule eurent le temps d’intervenir, avant qu’il ne puisse mourir pendu.
Cela aurait pu être la fin amère d'un père de famille, depuis 15 ans en Italie. C'est vrai, parce que M. vit en Italie depuis 1996. Désormais adopté par la ville de Brescia, il a eu ses papiers avec l'amnistie de 1998 et en 2004 sa femme, qu’il avait épousée au Maroc l'année d’avant, l’a rejoint. L'enfant est arrivé en 2006. Peu après, il a été arrêté. Une vieille histoire de trafic de drogue, une erreur de jeunesse à l’époque où il était célibataire, qui des années plus tard, a ruiné sa vie.
Quatre ans de peine. Deux ans et demi de prison ferme et un an et demi en résidence surveillée, avec sa famille. A la fin de sa peine, le 15 janvier dernier, les carabiniers l’ont appelé à la caserne et de là ils l'ont emmené au poste de police, où il était attendu par une voiture. Destination le Cie de Milan. C’est la dernière fois qu’il a vu sa fille.
Depuis lors six longs mois se sont écoulés. Et pourtant ceci n’est encore pas tout. Car si la nouvelle loi sur le rapatriement est adoptée, étant déjà été adoptée par la l’Assemblé nationale et en discussion au Sénat, pour M. il y aura encore douze mois derrière les barreaux. Si le rapatriement devait être mis en place, cela ne serait pas la première fois qu’une expulsion sépare un père italomarocain de ses enfants et de sa femme.
Je pense a Raffa, qui a grandi à Turin et qui a été expulsé de Turin vers le Maroc en octobre 2009 avec sa femme et son enfant de huit mois né en Italie. Et je pense à Kabbour, rapatrié lui aussi au Maroc en mars 2011, tout en ayant en Italie trois générations de sa famille: parents, sœurs, femme et enfants.
Mais peut-être que M. ne sera pas expulsé et sera de retour dans un an à Brescia, sans documents, mais encore une fois avec sa famille. Alors, qui sait si la petite le reconnaîtra. Parce que les hommes qui sortent des Cie sont réduits à des bêtes, courbés par des mois de détention, par les humiliations quotidiennes et par de frénétiques traitements quotidiens de médicaments psychotropes.
traduit par Veronic Algeri