Depuis le début de l'année, les victimes de la frontière ont déjà été 666. Elles avaient été 1.582 pour toute l’année 2006. Pourtant le nombre d'arrivées par mer s’est réduit de moitié. Moins 55% en Espagne, où seulement 6.306 migrants sont arrivés durant les premiers six mois de 2007. Et moins 45% en Italie où, de janvier à juillet, 5.200 personnes ont débarqués, contre les 9.389 de la même période en 2006. C'est un corollaire des patrouilles en mer. Sans l’ouverture de nouvelles voies légales de circulation vers l'Europe, la pression migratoire ne s'arrêtera pas. Les navires de la Marine ne font qu’allonger les routes, de plus en plus longues et dangereuses, et toujours plus souvent à bord de petites embarcations, afin d'échapper aux radars. Les statistiques du Ministère de l’Intérieur Italien sont très claires.
Durant l’année 2005, chaque bateau débarqué en Sicile transportait une moyenne de 101 migrants. En2006 la moyenne était tombée à 53 et en 2007 elle est de 41 pour le moment. Plus le bateau est petit, et plus le voyage est dangereux. Voilà pourquoi les victimes du détroit de Sicile augmentent: déjà 327 en 2007 contre les 302 de l’année 2006. La dernier patrouille de Frontex au large de Malte, Nautilus II, a été inutile. Elle s’est arrêtée le 27 juillet, après un mois d'activité. Quoi qu'il en soit, le directeur de Frontex, Ilkka Laitinen, a assuré que les patrouilles vont devenir constantes à partir de janvier 2008.
Au Sahara occidental c'est pareil sur le routes des Canaries. Et parfois les tragédies se produisent dès les premiers milles de navigation. La dernière fois c'était le 21 juillet. Deux bateaux partis dans la nuit depuis Naa'ila, 150 kilomètres au nord de Laayoune, et se dirigeant vers les Canaries, ont chaviré sous les vagues. Seulement un homme a survécu. Au moins 40 personnes se sont noyées. Une semaine plus tard deux des corps ont été retrouvés en mer. Toutes les victimes étaient des Sahraouis, de la ville de Laayoune. Elles ne sont que les dernières des au moins 1.836 personnes noyées dans l'Océan atlantique en essayant de rejoindre l'archipel espagnol.
Quatre jours auparavant, le 18 juillet, une pirogue avec au moins 100 passagers avait chaviré 90 milles au sud de Tenerife, durant les opérations de secours. Seulement 48 personnes ont pu être sauvées. Quelques jours après, la mer a restitué trois corps, alors qu'au moins 50 personnes sont portées disparues. Au moins. Car les derniers bateaux débarqués aux Canaries, transportaient jusqu’à 140 ou même 150 passagers. Selon les gardes-côte espagnols, l'incident a été provoqué par les passagers, qui se sont levés quand ils ont vu les secouristes, déséquilibrant la pirogue, qui aurait donc chaviré. Ils étaient nerveux car ils avaient passé dix jours en mer. En fait, ils étaient partis depuis la Guinée-Bissau, au sud du Sénégal, afin d'éviter les patrouilles Frontex. Ils savaient que Frontex a renvoyé vers le Sénégal 1.167 africains, entre février et avril 2007, certaines fois avec des détentions arbitraires, traitements dégradants et déportations, comme dans l’affaire Marine I, qui finalement vient d’être résolue, après que 23 migrants avaient été détenus pendant plus de cinq mois en Mauritanie dans des conditions inhumaines.
Cette année, par rapport à une diminution de 55% des arrivées, les victimes de l'Océan atlantique sont cinq fois moins nombreuses: 142 contre les 1.035 pour toute l’année 2006. C’est une bonne nouvelle? Nous ne le savons pas, car nous ne connaissons pas ce qui est en train de passer le long des nouvelles routes parcourues par les migrants afin d'éviter les patrouilles européennes. Elles passent jusqu'à 300 milles au large des côtes africaine pour plus de 1.500 milles de navigation, pendant dix jours de voyage. Combien de naufrages fantômes se produisent là-bas? Personne ne le sait.
“Hellenic Watermelons Tsiausis Export”. C’était écrit sur le camion où trois jeunes irakiens s’étaient cachés afin d'atteindre l'Allemagne. Le chauffeur les a retrouvés morts, en Italie, près de Venise, le 14 juillet 2007. Le camion s’était embarqué en Grèce pour le port italien d’Ancône. En voyageant cachées dans des camions, au moins 277 personnes ont perdu la vie ces dernières années. Une bonne partie le long du parcours Turquie-Grèce-Italie, où les réfugiés afghans, kurdes et irakiens se déplacent pour rejoindre illégalement l’Europe. Ils viennent pour demander l'asile politique, souvent ils sont expulsés à la frontière. Au seul port de Venise, durant les cinq premiers mois de 2007, 254 migrants ont été arrêtés, dont 64 mineurs. Presque tous (238) ont été expulsés. 152 étaient Afghans, 46 Irakiens et 13 Iraniens. Même chose dans le port de Bari, dans le sud du pays, où pour la seule deuxième quinzaine de juillet, au moins 20 Irakiens et 4 Afghans ont été expulsés vers la Grèce. La Grèce qui vient d’être mise en cause par un rapport européen pour les conditions de détention des migrants et des réfugiés.
Zérovirguletroispourcent. C'était le taux de reconnaissance des réfugiés en Grèce en 2004, devenu 0,6% en 2006. 11.000 demandes n’ont pas encore été traitées. C’est ce que dit le rapport de la Commission des libertés civiles et de la justice après sa visite en Grèce. Et dans ce pays, ajoute le rapport, 0% d'irakiens obtiennent le statut de réfugié. Bizarre, étant donné qu’il y a environ 2 millions de réfugiés irakiens en Syrie et en Jordanie et qu’ils sont plus de 18.000 en Allemagne. Le rapport dénonce aussi les conditions «déplorables, inhumaines et inacceptables» des centres de détention de migrants sur l'île de Samos. Et il exprime des «grandes inquiétudes» concernant la détention des mineurs et les déportations vers la Turquie. En 2001, l'association allemande Pro-Asyl et la turque Ihd, avaient déjà dénoncé les arrestations et les tortures, en Turquie, des Kurdes rapatriés depuis l'Allemagne. Aujourd'hui les risques restent élevés. Le 19 juillet, Reuters écrivait que la Turquie avait bombardé le nord de l'Irak, accusant les séparatistes Kurdes d’être basés là-bas. L'armée turque compte 200.000 soldats à la frontière irakienne. La guerre avec les séparatistes Kurdes a déjà fait 30.000 victimes depuis 1984.
Article 3. «Aucun Etat partie n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera une personne vers un autre Etat où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture». Article 3 de la Convention contre la torture des Nations Unies. Ratifiée par 144 Pays. Et tout à fait inutile. Comme est inutile le principe de non refoulement, codifié dans les Conventions sur les réfugiés des Nations Unies et de l'Union africaine, qui interdit l'expulsion d'un réfugié dans un Pays où il pourrait être de nouveau soumis à des persécutions. Et inutiles sont les articles 4 et 19 de la Charte européenne des droits fondamentaux, qui interdit la torture et les traitements dégradants, les expulsions collectives et les expulsions dans les Pays où la personne risque d’être torturée ou soumise à des traitements dégradants. Pourquoi sont-ils inutiles? Il suffit de rappeler ce qui s’est passé à la frontière le mois dernier, pour comprendre cette grande hypocrisie.
La mutinerie des migrants. Ou la dernière déportation collective dans le détroit de Sicile. 18 juillet 2007. Un bateau pneumatique avec 37 personnes à bord, dont 11 femmes et deux enfants âgés de 6 mois et 5 ans, demande de l’aide au bateau de pêche tunisien «El Hagg Mohamed», 42 milles au sud de Lampedusa. Le bateau de pêche prend à bord les femmes, les enfants et quelques hommes. Sur le bateau pneumatique restent 15 hommes, quand le navire de la marine tunisienne Bizerte, s’approche des deux embarcations. Craignant d'être arrêtés et ramenés en Tunisie, les 15 s’éloignent tandis que les 22 autres prennent le gouvernail du bateau de pêche et se dirigent vers Lampedusa. Après toute une nuit passée dans les eaux internationales, entre Malte et Lampedusa, escortés par le Bizerte et par deux navires des autorités italiennes, les Tunisiens prennent à bord les 22 et les ramènent en Tunisie, au port de Sfax. Pendant ce temps, le bateau pneumatique a été intercepté et par les gardes-côte italiens qui ont amené les 15 migrants à Lampedusa. Deux hommes déclarent avoir laissé leurs épouses et leurs enfants sur l'autre bateau et craignent qu'ils puissent être expulsés. Comme résultat, l’Unhcr (Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés) demande immédiatement à la Tunisie une autorisation pour interviewer les 22 personnes. Car à bord il y avait des Erythréens, des Soudanais, des Somaliens et des Ethiopiens, tous des potentiels réfugiés. Mais dans le silence le plus complet, les autorités tunisiennes expulsent les 22 en Libye, le Pays depuis lequel ils s’étaient embarqués pour l’Italie, le 15 juillet. Quelques jours après, deux des femmes érythréennes expulsées frappent aux portes du bureau de l'Unhcr à Tripoli, en Libye. Elles demandent des nouvelles de leurs maris en Italie. Depuis ce jour, aucune nouvelle n’est parvenue de ces personnes.
Ce n'est pas la première expulsion collective dans le détroit. Le droit international l'interdit. Dans les eaux internationales existe la liberté de navigation. Et en cas de naufrage, le droit maritime impose aux secouristes de ramener les naufragés dans le port le plus sûr, qui n'est pas nécessairement le plus proche. En particulier, s’agissant de naufragés demandeurs d’asile, consignés à un Pays comme la Libye ou la Tunisie, bien connus dans le monde entier pour leur pratique de la torture et des rapatriements forcés. Tareke, érythréen, sur un bateau avec 200 passagers, avait été remis aux autorités libyennes en juillet 2005, , après qu'un navire de la Marine Maltaise les avait interceptés dans les eaux internationales. Ayman, tunisien, juin 2006, la même histoire pour lui et les 200 harrag à bord de la Tulaitila, renvoyés en Libye. Abraham, érythréen, juillet 2005, le bateau était à la dérive, et les ouvriers d'une plate-forme pétrolifère les avaient secourus prenant à bord les femmes et les enfants pour ensuite les ramener en Libye, en abandonnant les hommes à leur destin. Le détroit de Sicile est devenu un far west, même l’Unhcr le dit.Danger Libye. Ils sont tous Erythréens et ils sont détenus depuis plus d'un an, à Misratah, 200 kilomètres à l’est de Tripoli, et risquent maintenant d'être expulsés. 443 personnes détenues dans des conditions inhumaines, y compris 60 femmes, dont une à son huitième mois de grossesse, et 7 enfants, dont un petit âgé de trois mois, né en prison, en avril. Ils ont abandonné l'armée érythréenne, pour échapper à la guerre avec l'Ethiopie. Ils sont partis pour demander l'asile politique en Europe. Et là, aujourd’hui il n'y a pas d’autres façons de le faire si non en traversant d’abord le désert et ensuite la mer, en espérant arriver vivant. Maintenant ils risquent leur vie. L’Erythrée en fait, aurait conclu un accord avec la Libye pour leur retour, comme déjà fait avec le Soudan, où 500 Erythréens viennent d’être arrêtés maison par maison à Khartoum. Parmi les prisonniers de Misratah, se trouvent aussi 114 réfugiés reconnus par l’Unhcr, au Soudan et en Ethiopie. L’Unhcr a eu le permis d'interviewer les femmes et les enfants. Ils vont essayer de les replacer en Europe ou en Amérique du nord. Mais les hommes n’auront pas cette chance. Ils seront expulsés, au mépris de toutes les conventions internationales. Et, encore une fois, la Communauté internationale ne fera rien pour éviter ce crime.
La Libye a déjà expulsé des Erythréens, en 2006 et en 2004, une fois même sur un vol payé par l'Italie. Le 27 août 2004 un avion fut détourné par les déportés, à Khartoum, au Soudan. 60 des 75 passagers Erythréens furent reconnus comme des réfugiés par l’Unhcr. En Erythrée ils auraient été arrêtés, comme les 223 expulsés de Malte en 2002, et toujours détenus dans la prison de Dahlak Kebir.
En juin, les autorités libyennes ont arrêté 1.500 migrants irréguliers. En mai, ils étaient 2.137. Tripoli montre toujours ces chiffres comment les résultats de ses efforts pour empêcher la migration clandestine. Mais en réalité derrière ces chiffres se cache un système de connivence entre les autorités et les mafias qui organisent ces voyages avec des profits de dizaines de millions d'euro par an. Pas un seul des migrants interviewés par Fortress Europe n’a été interrogé en Libye, une fois arrêté, afin de connaître le nom des organisateurs. Au contraire, la majorité s’est échappée de prison en corrompant les policiers, qui souvent lui ont vendu le deuxième billet pour la traversée. En 2006 Human rights watch et Afvic ont accusé Tripoli d’arrestations arbitraires, déportations et tortures collectives dans les centres de détention de migrants. De telles accusations apparaissaient déjà en 2004 dans un rapport de l’Union européenne, selon lequel l'Italie aurait financé trois de ces centres entre 2003 et 2005.
Les témoins. E., camerounais, a débarqué à Lampedusa en juin 2007. Il a déclaré à Fortress Europe qu’il a vu mourir 2 nigériens tués par balles sous le feu des policiers libyens dans la prison du quartier Fellah, à Tripoli, durant la brutale répression des émeutes de protestation soulevées par les migrants en juin 2006. T. aussi, nigérien, vient d’arriver en Sicile. En Libye il a perdu deux amis, un nigérien et un ghanéen, roués de coups dans un commissariat de police à Tripoli, en février 2007. F., est ghanéen, il y a un mois il a franchi la frontière entre le Niger et la Libye sur un camion à travers le désert du Sahara. Et au milieu du désert il a vu les corps de 34 personnes mortes déshydratées, pas loin du poste frontalier de Toumou. F. n'exclut pas qu'ils puissent être morts après avoir été expulsés par les Libyens. Là-bas c'est normal. Ça se passe chaque mois le long de l'axe Tripoli-Sebha-Gatrun-Toumou du coté nigérien et Tripoli-Benghazi-Igdabiya-Kufrah du coté soudanais. Même E. a été abandonné au milieu du désert, à la frontière, en septembre. Près de Toumou vivent au moins 150 déportés, dit-il, et un bon nombre d'entre eux son devenus fous. Les autres atteignent Dirkou à pied, au Niger, après deux ou trois jours de marche. Quelques uns meurent avant. E. par exemple il a perdu 2 des 35 camarades avec lesquels il avait été expulsé à Toumou. C'est ça la Libye. C’est ça le Pays auquel l'Europe propose plus des moyens pour patrouiller le long de ses frontières, comme écrit dans le mémorandum signé le 23 juillet 2007, après le cas des infirmières bulgares.
C'est la politique de l'externalisation. Avec le Maroc ça a fonctionné. À part les effets collatéraux, évidemment. Comme les deux Sénégalais morts par balles la nuit du 30 juillet, sous les tirs des forces de l’ordre marocaines alors qu’ils tentaient avec une trentaine de personnes de prendre la mer depuis les côtes de Laayoune dans le Sahara occidental. Deux autres personnes seraient grièvement blessées selon un rapport des ONG locales. Quatre jours auparavant, les 26 et 27 juillet, les autorités marocaines avaient fait des rafles nocturnes sur le campus de l’université de Oujda, à la frontière algérienne, où, depuis des années, les déportés trouvaient refuge pour un temps avant de reprendre la route, à pied, vers Rabat, Nador ou Tanger. Des migrants ont été battus par les agents de la police. Entre 200 et 350 migrants ont finalement été arrêtés dont un réfugié mineur par la suite remis en liberté. Ils ont été reconduits à la frontière prés de Galla, parmi eux il y a 6 femmes et 2 enfants, dont un âgé de 4 ans. Maintenant ils sont cachés dans les forêts tout autour de la ville, dans des conditions très précaires.
Pour ce mois-ci c’est tout. Même si on devrait ajouter à ce bulletin de guerre des premiers sept mois de 2007, les 367 noyés et les 118 disparus du golfe d'Aden, morts en tentant d’échapper à la guerre en Somalie en se dirigeant vers le Yémen, et aussi les 120 mexicains morts le long de la frontière des Etats-Unis, où vient de reprendre, ces derniers jours, près de San Diego (California), les travaux pour la construction du mur en acier de 5 mètres de haut, qui couvrira 595 des 1.126 kilomètres de la frontière, avant 2008.