31 August 2011

La zone grise, nous y sommes


Regardez ces images. C'est ce que voient chaque matin des centaines de personnes en train de bailler, alors qu'ils ouvrent les volets de leurs fenêtres, ou le soir sur leur balcon alors qu’ils fument une cigarette. Un balcon comme celui d’où j’ai pris ces images. Au sixième étage d'un immeuble de la rue Santa Maria Mazzarello, à Turin, en Italie. Ce que l’on voit c’est le centre d'identification et d'expulsion (CIE) de la ville de Turin. Depuis le 1er avril, la presse ne peut plus y entrer. Mais la censure n’était pas nécessaire pour imposer le silence. L'indifférence est bien plus efficace. L'indifférence, ce sentiment pour quoi des centaines de citoyens ordinaires décident de tourner la tête de l’autre côté. Pour ne pas voir que les fenêtres de leur appartement donnent sur une grande cage en fer où des dizaines d'hommes et de femmes sont gardés en captivité, comme des animaux dans un zoo, coupables d'avoir un document expiré. Il suffirait de regarder avec un peu plus d'attention pour y voir les détails. La distribution des médicaments psychotropes, les incendies, les tentatives de suicide, les raids à l'aube pour emmener les détenus de poids en vue d’une expulsion, les émeutes, les tentatives d’évasion, les coups. Mais les gens préfèrent se retourner de l’autre côté. Et alors je pense à un écrivain italien, Primo Levi, et à la zone grise dans son livre, Les Naufragés et les rescapés. La zone grise, nous y sommes.

La zone grise est l'Italie de l'indifférence. Le troisième élément, entre les victimes et les bourreaux, où se matérialisent les uns et les autres. L'Italie qui ne veut pas savoir, qui tourne la tête de l’autre côté, qui reste spectatrice sans assumer ses responsabilités. Aujourd'hui comme à l’époque où il écrivait.

traduit par Veronic Algeri