03 March 2011

La chose la plus belle au monde c’est la liberté


«Ce n'est pas pour les conditions du centre, c’est pour la liberté. Je m’en fous de la façon dont on mange, tu vois? Ici c’est pas mal, mais pourquoi on doit rester enfermé comme des animaux?». Ali est un électricien de Zarzis, son oncle l’attendait à Paris. Mais maintenant, il ne sait plus si ni quand il y arrivera. «Je n’y comprends plus rien. Certains disent qu’on va rester ici pendant six mois, d’autres disent qu’on nous renvoie en Tunisie ". Centre d'identification et d'expulsion de Modène. Vendredi matin, le 25 février. Il manque encore deux jours avant les émeutes de dimanche. Et la préfecture m'a autorisé à visiter le centre. En insistant un peu, j'ai finalement obtenu le feu vert pour l'entrée dans les modules où sont enfermés les Tunisiens qui ont été tranférés de Lampedusa ces dernières semaines.

Il y a 42 hommes sur un total de 59 détenus. Presque tous viennent de la ville de Zarzis, à part quelques-uns de Sfax et de Ben Guerdane. Pour en être sûr, il suffit de regarder les murs de la salle. Ils avaient été récemment repeints en blanc. Mais il n'a fallu que quelques jours pour qu’ils soient recouverts de graffitis. «Zarzis» c’ est le mot le plus fréquent. Il est écrit en arabe et en italien. En alternance avec la colère de ceux qui ont écrit dans un mauvais italien toutes sortes de parjures contre le gouvernement, avec la nostalgie de celui qui a inscrit des déclarations d'amour pour Marie, avec l'espoir de ceux qui ont répété «Allahu Akbar», Dieu est le plus grand, et avec le cocktail de toutes ces émotions collectées dans le dessein d’un grand cœur en flammes.

Ali me montre la chambre. Il y a deux lits. Tout est propre. Le mur est un collage de photos de femmes nues digne d'un collectionneur de Playboy. Mais, entre les deux lits, sur ce même mur il y a un carton blanc où il y a inscrit avec beaucoup de soin, au marqueur vert, la première sourate du Coran. Cela indique la direction de la prière vers la Mecque. «Nakhruju Incha Allah», me dit-il. Si Dieu le veut on sortira de là. C'est alors seulement que je me rends compte que derrière lui dans le couloir sur le mur il y a un autre message que je n'avais pas remarqué. Il est en italien et il déclare: «La plus belle chose au monde c’est la liberté»

Mais nous, est-ce que l’on s’en souvient encore de ce que c'est la liberté? Si nous l’avons oublié peut-être que nous ferions mieux de venir faire un tour derrière les barreaux du centre d'expulsion de Modène où dimanche dernier «liberté» était le cri qui montait des cages durant la révolte, lorsque les détenus tunisiens ont jeté leurs matelas dans la cour et il leur ont mis le feu. Pour la quasi-totalité d'entre eux, c'est la première fois qu’ils se retrouvent en détention. Et ce qu'ils ne parviennent pas à comprendre c'est pourquoi ils se sont retrouvés derrière les barreaux tandis que leurs compagnons de voyage, avec lesquels ils ont débarqué en Italie, à cette heure-ci sont déjà arrivés en France.

Par exemple Abdelshafi a des amis de Zarzis qui ont voyagé avec lui sur le même bateau et qui ont été tranférés de Lampedusa au centre de Bologne d’où, entre-temps, ils ont été relachés avec un ordre d'expulsion. La dernière fois qu’il les a appelés, ils lui ont dit qu'ils étaient déjà arrivés à Paris. Pourquoi eux et pas lui alors? Lui qui en plus avant de s’embarquer, sans papiers, avait aussi essayé d’entreprendre la voie légale en demandant un visa de touriste à l'ambassade de Pologne à Tunis. Il pensait qu’ainsi ce serait plus facile, de Varsovie il serait ensuite arrivé en France en voiture. Mais le visa lui a été refusé et maintenant il se retrouve enfermé.

Jed, lui, est plutôt du nord de la Tunisie, Cap Bon, et il a débarqué à Pantelleria à la mi-janvier. Ils étaient six à bord, tous des copains. Et ils ont tous été conduits au centre d'expulsion de Modène. Mais alors, trois d’entre eux ont été libérés pour laisser la place aux nouveaux arrivants. Et les trois autres se demandent encore pourquoi leur liberté vaut moins que celle de leurs copains. C’est la même question que Karim se pose depuis des jours. Un homme de quarante ans. Quelqu’un de bien qui se retrouve détenu pour la première fois de sa vie sans en comprendre la raison. Il était parti pensant qu’il aurait facilement trouvé un emploi pour soigner son enfant. Un enfant de 9 ans, avec une maladie génétique du système nerveux qui a besoin de soins et d’aide continus, mais qui maintenant est encore plus seul. La nuit dernière, ce père a commencé à pleurer en pensant à sa situation et aux six mois de retention qui l’attendent.

Ayadi par contre va bientôt devenir père. Sa copine l’attend en Belgique. Elle est marocaine et vit à Bruxelles. Elle est enceinte au cinquième mois. Il venait d'être expulsé et dès que les débarquements ont repris, il n’a pas perdu de temps pour retourner en Europe près de sa famille. Mais maintenant la perspective qui l’attend est de rester enfermé six mois ici et avec le risque d'un rapatriement forcé. Son fils viendra au monde sans son père à ses côtés. C’est ce qui se produit en Europe, en 2011, là où une loi de l'État interdit à un père de vivre aux côtés de son enfant et de sa femme au nom de l'intérêt supérieur de la bureaucratie et des timbres sur les passeports. Mais nous, est-ce que nous nous souvenons de ce que c'est la liberté?

traduit par Veronic Algeri