‘Eid-ul-adha. Sang, mouton et feux d'artifice. C'est le 31 décembre 2006, le monde musulman célèbre la fête du sacrifice ('eid-ul-adha) et partout dans le monde les gens attendent la nouvelle année. Quelle occasion pour brûler la frontière, ils auront pensé à Annaba, 500 kilomètres à l'Est d'Alger. Dans quelques heures les 60 harragas - ceux qui brûlent, comme les clandestins sont appelés en arabe – montent dans deux de bateaux volés à Sidi Salem et prennent la nouvelle route pour l’Europe, en direction de Sardaigne, en Italie, 180 kilomètres plus au nord. Le jour suivant ils sont déjà à Teulada. Même itinéraire, deux semaines plus tard, pour 60 autres Algériens secourus au large de Cagliari le 16 janvier. Les années précédents en Sardaigne on n'arrivait clandestinement que bien cachés à bord des navires. Le premier débarquement a été celui du 30 août 2006, quand un bateau avec 17 passagers à bord débarquait parmi les touristes sur la plage de Santa Margherita di Pula, à Cagliari. On pensait à une erreur de l’homme qui était à la barre. Mais depuis aôut au moins 189 jeunes algériens sont arrivés sur l’île. Ce changement pourrait être lié à l'augmentation des patrouilles le long des côtes occidentales d'Oran, bien connues comme point d'embarquement pour l’Espagne, où en 2006 au moins 42 personnes se sont noyées et 27 autres portées disparues. Même de Sardaigne on peut mourir. En janvier ont été retrouvés les corps de 33 personnes noyées dans la mer d'Annaba.
Les bons résultats. Selon le ministre italien des affaires internes, Giuliano Amato, la coopération avec la Libye "donne de bons résultats". Le 18 janvier 190 candidats à l’immigration illégale vers la Sicile ont été arrêtés à Tripoli. 99 Egyptiens, 43 Marocains, 10 Soudanais, 27 Erythréens, 4 Éthiopiens, 3 Bangladais et 2 Tunisiens. Pour eux bientôt l'enfer commencera. Human Rights Watch et Afvic dénoncent depuis longtemps les abus pratiqués sur les migrants par la police libyenne dans les centres d’arrestation, dont 3 financés par l'Italie. Arrestations arbitraires et sans jugement, tortures, travaux forcés et peine de mort. Mais l'Union européenne est disposée à un pacte avec le diable. Le colonel Qaddafi – réhabilité au niveau international grâce au gaz et aux clandestins - après la conférence de Tripoli semble jouer sérieusement. 878 harragas arrêtés et 1.536 expulsés pendant le deux premières semaines de janvier. Depuis le 15 septembre les déportations ont été 8.336. Une fois dans leurs pays d'origine, beaucoup de chercheurs d'asile risquent leur vie, particulièrement au Soudan et en Erythrée. Pour d'autres, au Niger, au Soudan, au Tchad et en Egypte, l'expulsion signifie simplement être abandonné dans le Sahara.
La chasse aux sorcières. Rabat a nettoyé la cour espagnole. Entre le 23 et le 29 décembre 2006 au moins 450 étrangers - arrêtés dans la nuit au cours des ratissages à Rabat (260) et Nador (60) ou détenus au centre d’arrestation à Laayoun (200) - ont été abandonnés dans une zone désertique, le long de la frontière algérienne pas loin de Oujda. Parmi eux 10 femmes, dont 3 enceintes, et 11 enfants, dont un handicapé. Les premiers jours de janvier environ 400 personnes ont réussi à revenir à Oujda à pied. Des témoins donnent les évidences des abus pratiqués par les nouveaux Gendarmes de l’Union européenne. Transportés en bus à la frontière les gens ont été abandonnés par petits groupes à différents endroits dans le désert, et forcés de marcher à pied vers l'Algérie, menacés par des balles tirées en l’air. Même chose du coté algérien, où les soldats tiraient pour qu’ils reviennent au Maroc. Bloqué entre les deux feux, un groupe a été attaqué dans la nuit par des soldats algériens, qui ont pris 3 femmes et les ont violées. Elles ne sont pas les seules. Au moins 6 femmes ont déclaré avoir été violées soit par les policiers marocains soit par les algériens, ou encore par un gang nigérien à la frontière, habitué à attaquer les groupes de déportés. Une d'entre elles, enceinte de six mois, a perdu son enfant à la suite des violences subies. Aujourd'hui des centaines de personnes dorment à même le sol gelé, au campus universitaire de Oujda. Quelques-uns ont des blessures à la tête et aux pieds, matraqué par les policiers marocains. Jusqu'à aujourd’hui les autorités d'Oujda leur interdisent de prendre un bus pour Rabat. Tous les expulsés sont des noirs, de différents pays africains. Même si la majorité n'a aucun document, il y a aussi quelques touristes et étudiants avec un visa régulier sur leur passeport, et il y a aussi 10 réfugiés et 60 demandeurs d'asile reconnus par le Haut Commissariat des réfugiés des Nations Unies (Un Hcr). Pour les policiers leur statut vaut moins que le couleur de leur peau. De son coté l'Unhcr n'a pas réagi, excepté lors d'une déclaration tardive, le 8 janvier, et par l'envoie des couvertures à Oujda, étant donné que le Maroc ne permet pas aux employés Onu de quitter Rabat.
Ce n’est pas la première fois. En décembre 2002 les corps de 8 expulsés morts de froid étaient retrouvés à Oujda. En octobre 2005 plus de 1.500 personnes, arrêtées dans les forêts de Bel Younes e Gourougou autour de Ceuta e Melilla, étaient abandonnées au milieu du désert à ‘Ain Chouatar, le long de la frontière algérienne. Seule l’intervention des associations marocaines des droits de l'homme évitèrent une hécatombe. Un mois après l'Algérie arrêtait des centaines de migrants à Maghnia, à 13 kilomètres d'Oujda, les chargeant sur des camions militaires vers une destination inconnue. Un an après un bon nombre d'entre eux sont toujours là, à Tinzaouatine, en plein Sahara, frontière Mali-Algérie. Qui a réussi à s'échapper parle "de la ville où dieu n'existe pas". Qui y est encore, risque chaque jour d’ajouter son nom à l'épitaphe des 1.047 Africains morts au Sahara sur la route de l'Europe.
Nous avons besoin d'hélicoptères. Bateaux, avions et hélicoptères. Le vice-président de la Commission Européenne Franco Frattini les demande "pour éviter de nouveaux arrivages d'immigrés". Tandis que rien ne se fait afin de faciliter des voies légales d'entrée pour les voisins Africains, Bruxelles insiste avec Frontex. La stratégie est claire : humaniser la répression en Europe et sceller à tout prix les frontières. Bref, dans le désert d'Oujda les soldats algériens violent des femmes expulsées, en Italie le centre de détention des migrants de Gradisca obtient une certification d'éthique et à Las Palmas Hera II devient un succès. Hera II, une opération européenne de patrouille le long des côtes de la Mauritanie et du Sénégal commencée le 11 août 2006, et terminée le 15 décembre. 57 cayucos ont été interceptés et obligé de faire demi-tour avec leur 3.887 passagers, alors que pendant la même période 246 pirogues avec 14.572 personnes à bord débarquaient aux îles Canaries. Coût de l'opération : 3,5 millions d'euro et 82 décès. En fait au moins 2 embarcations rejetées en mer ont perdu la moitié des passagers avant d’atteindre nouvellement la côte africaine, morts de déshydratation et d'hypothermie. Et d’autres dizaines de pirogues ont choisi des routes 300 km au large des côtes pour éviter les patrouilles. Des itinéraires bien plus dangereux, mais ici ça vaut la peine. Il suffit un gps, un bon moteur et un grigri. Personne n’a plus peur de mourir.