24 November 2011

Spoon River de l’île sicilienne de Lampedusa


Je suis rentré de Tunis avec une trentaine de photos. Photos d'enfants. Certaines en couleurs, certaines en noir et blanc. Je les garde dans une enveloppe entre les pages de mon cahier. Enveloppées dans une feuille de papier où j’ai noté à la plume une liste de noms et dates de naissance, en arabe. Chaque fois que je les regarde cela m’ému toujours un peu. Comme si je craignais de croiser leurs regards maintenant qu’ils ne sont plus là. Oui parce que ces trente jeunes garçons font partie des 187 Tunisiens disparus en mer en 2011 sur la route pour Lampedusa, l’île sicilienne au sud de l’Italie. Leurs familles me les ont remis. Et ils m'ont demandé de les publier et de demander si quelqu'un les a vus en Italie, dans un centre d’identification et d’expulsion ou en prison ou partout ailleurs. L'expérience de ces années me permet de penser que l'on n’a plus aucun espoir de les trouver encore en vie. Mais j'ai décidé de les publier quand même. Et je demande aux lecteurs de ce blog de faire un effort. J’en publierai une par jour pendant deux semaines. Essayez de croiser leurs regards qui n'existent plus. Et de prononcer leurs noms. Et de les célébrer. Parce qu'en fin de compte on se souviendra d’eux non seulement comme des victimes. Mais comme des martyrs. Tombés dans cette sale guerre des frontières. Héros rebelles d'un mouvement spontané de désobéissance civile contre les lois injustes des frontières et contre la criminalisation de la libre circulation. Des garçons tués par nos ambassades, avant même que par les vagues de la mer. Des garçons violant délibérément les lois européennes sur l'immigration nous poussent à nous poser des questions sur l'institutionnalisation du racisme, sur l’interdiction de circuler et sur la rétention administrative des sans-papiers. Ces visages feront partie des collections du musée de l'émigration qui un jour ouvrira à Lampedusa, comme aujourd'hui à Ellis Island, aux États-Unis. Mais il sera alors trop tard pour se frapper la poitrine et se remplir la bouche de rhétorique. Essayons de faire en sorte dès maintenant que ces jeunes ne soient pas morts pour rien.

Écoutez l’émission d’approfondissement Passpartù sur les Tunisiens disparus

Sur le site Histoires migrantes vous pouvez signer une pétition demandant au gouvernement italien un plus grand engagement pour la recherche des personnes disparues à la frontière

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