03 January 2012

Du Rap pour Lampedusa, Spéciale musique et harragas


Une semaine de musique, sur Forteresse Europe, afin de mieux comprendre ce qui se passe à la frontière. Oui, parce que maintenant il y a beaucoup de rappeurs sur les rives sud de la Méditerranée qui chantent l'aventure de la traversée. Et dans leurs mots, on y trouve des interprétations très intéressantes. Vue des quartiers populaires de Tunis, de la banlieue de Annaba ou depuis les campagnes de Khouribga, la frontière n'est pas seulement une frontière géographique, mais bien plus encore. C'est un défi, le courage de rejoindre un autre endroit pour réaliser les rêves de toute une vie. Au point que, du Maroc à la Tunisie, voyager sans documents se dit harraga soit brûler.

Brûler la frontière, tout comme Tariq Ben Ziyyad, le caïd arabe qui lors de la conquête de l'Espagne au VIIIème siècle après Jésus-Christ ordonna à ses soldats de brûler les bateaux après avoir traversé le détroit de Gibraltar, car on ne fait pas marche arrière, on gagne ou on meurt. Ainsi, après treize siècles, le mythe de la conquête revit sur les bateaux des harragas. Le défi, cependant, cette fois est tout à fait personnel, ainsi que les risques. En fait, au Maroc émigrer se dit aussi kayriskì du mot français, le risque. Pour les très jeunes, le risque est presque un coup de tête à l’époque de la mondialisation, une aventure pour s’échapper à la périphérie du monde et se sentir enfin au centre de son imagination, enfin vivre. Pour les adultes au contraire c’est simplement la seule route menant à la réhabilitation économique d'eux-mêmes et de leurs familles. En un mot: à la consommation et donc à ce qui est sensé être le bonheur.

Mais les choses ne vont pas toujours comme prévu, parce que, comme dans une autre chanson tunisienne, l'Europe peut aussi te tromper. Alors voilà donc apparaître dans les textes des chansons rap aussi le point de vue des pères, et en général celui de la majorité des gens qui habitent sur les rives sud de la Méditerranée. Est-ce qu’il vaut vraiment la peine de risquer sa vie en mer? Combien de personnes sont déjà mortes? Et combien d'autres doivent encore mourir?

La réponse semble venir d'une autre chanson. Je l'avais posté au mois d’avril, lorsqu’un étudiant tunisien à Vintimille me récita par cœur l'un des plus beaux poèmes de Chebbi pour m’expliquer son désir de voyager et être libre. Un poème que j'avais déjà entendu plusieurs fois dans les rues de la révolution à Tunis, au Caire et à Benghazi. Parce que finalement le fait de bruler la frontière est aussi un acte de rébellion. Autant que descendre dans les rues contre le régime. Parce que nous mettons notre vie en jeu pour retrouver la dignité et ce qu'on considère son propre droit: la liberté de circulation.

Ainsi, les milliers de personnes pauvres qui, chaque année, voyagent sans passeport, représentent une avant-garde politique. Ils sont le mouvement de masse de désobéissance aux lois injustes de la frontière le plus important. Et les chansons que nous vous proposons sont leur bande-son. Ils les écoutent à la radio, ils les chantent en bateau pendant la traversée, et les téléchargent par Internet comme sonnerie pour leurs portables.

Écoutons-les, nous aussi. Passons-les à nos radios, dans nos documentaires et nos blogs. Pour que leurs paroles deviennent aussi les nôtres. En espérant qu’elles nous aident à réécrire une nouvelle esthétique de la frontière. Parce que si jamais un jour le monde choisira la liberté de circulation, comme je le crois, les harragas seront les héros et les martyrs de nos petits-enfants. Et maintenant, écoutons la musique. Ci-dessous vous pouvez trouver notre selection de chansons du rap arabe sur les harragas.

Spéciale musique et harragas: Partir Loin
Spéciale musique et harragas: Yammi
Spéciale musique et harragas: Mchaou
Spéciale musique et harragas: Chenoui Kheloui
Spéciale musique et harragas: Mzeyra
Spéciale musique et harragas: Ah ya lebhar
Spéciale musique et harragas: Sardinia harraga
Spéciale musique et harragas: Kamkam the harqa
Spéciale musique et harragas: Babour li jabni
Spéciale musique et harragas: Ya rayah


traduit par Veronic Algeri