06 March 2011

L’Anniversaire de Tareq

Le 15 mars c’est le cinquième anniversaire de Tareq. Il faut espérer que pour son anniversaire son papa rentre à la maison, à Gioia dei Marsi, un village italien des Abruzzes. Maintenant cela fait deux mois qu’il ne l’a pas vu. « Mais où est-il ton père, Tareq? », je lui demande. «A Avezzano,» dit-il timidement, puis il court se cacher derrière l’escalier, poursuivi par sa cousine Sarah qui le corrige avec le ton de celle qui a tout compris: «Ce n'est pas vrai! Il est allé au Maroc.» Après le premier moment de fous rires, l’embarras tombe sur le salon de la famille Abaziad. Personne n'a encore expliqué aux enfants ce qui s'est réellement passé. C’est parce qu’il est difficile d'expliquer ce genre de choses aux enfants. Comment expliquer notamment à un enfant qu’en 2011 en Italie il y a une loi qui empêche à un père de vivre à côté de son fils s'il n'a pas un bout de papier qui s’appelle «permis de séjour » ?. Et que sans ce papier, la police vient à la maison, frapper fort à ta porte, te charger sur une voiture comme dans les films pour t’emmener dans une prison loin de ta famille et de ta ville. Non, il vaut mieux ne pas inquiéter les enfants et les laisser jouer comme si de rien n'était dans les parcs de ce village des Abruzzes.

Nous sommes à Gioia dei Marsi, près de L'Aquila, dans le centre de l’Italie. Quelques maisons au pied de la montagne, deux mille âmes, quelques jeunes et de plus en plus de familles d’immigrés attirées par l'économie de la région de la plaine agricole de Fucino. Les hommes se retrouvent dans les champs, à couper du fenouil et ramasser de la laitue. Les femmes dans les établissements de lavage des légumes. Ici vit aussi la famille de Kabbour, le père du petit Tareq. J'ai rencontré Kabbour au centre d’identification et d’expulsion de Modène, où il est retenu depuis deux mois, dans l’attente de son rapatriement au Maroc. Aujourd'hui c'est dimanche, le 6 mars, et nous sommes venus jusqu’ici pour y voir plus claire. Parce que tous ses proches habitent à Gioia, ses parents, ses oncles, ses quatre sœurs, ses petits-enfants, sa femme, son ex compagne et son fils Tareq. Ils y habitent depuis toute une vie. Kabbour y est arrivé quand il avait 11 ans, au village tout le monde le connait. Ses sœurs, ses neveux et son fils sont même nés en Italie. Oui parce que la famille de Kabbour a été la première famille marocaine à s'installer à Gioia dei Marsi, en un lointain 1995. Le premier à arriver fut le grand-père de Tareq, le père de Kabbour, Monsieur Abdelkerim, qui est arrivé dans les Abruzzes en 1989, à 33 ans. Quatre ans plus tard il fut rejoint par sa femme et ses trois enfants.

« Voici le terrain de jeu où jouaient les enfants» - Monsieur Abdelkerim me dit en m’indiquant un champ en jachère. «Nous faisions les équipes, Kabbour, Leïla, Myriam et moi, deux contre deux. » Et sous sa moustache blanche un sourire vient illuminer son visage marqué par la fatigue. Vingt-deux ans de travaille dur, à se casser le dos dans les champs et à courir les marchés de la province sur ses jours de congé avec son stand de marchandise. Vingt-deux ans de contributions versées à l'Etat italien et des économies avec quoi il a acheté sa maison ici à Gioia dei Marsi, où ses enfants ont grandi. «Ici, c’est l'école primaire où les enfants ont étudié, et là c’est l'école de Kabbour ».

Après quelques années dans les champs avec son père, Kabbour s’était orienté vers le commerce. Il avait un stand et une licence de vendeur. Dans la cave de sa maison il y a toujours son stock de marchandise. Des boites pleines de montres, boucles d'oreilles, portefeuilles, ceintures, jouets pour enfants. Les affaires étaient bonnes, jusqu'au jour où ils l’ont pris avec de très dangereux films et des CD musicaux gravés. Les mêmes que l’on trouve par milliers dans toutes les villes italiennes, mais qui à Avezzano sont une véritable alerte sociale, étant donné que pour ces CD Kabbour a été condamné à six mois de prison pour avoir violé les règles de droit d’auteur, réduits à quarante jours grâce à la loi sur la remise de peine de 2006.

Avec les années, Kabbour avait probablement dû oublier son casier judiciaire. Jusqu'à ce que, après des années, on le lui a à nouveau contesté pour lui révoquer son permis de séjour par une ordonnance de juillet 2010. En plus de cette condamnation, on est allé jusqu’à lui repêcher une ancienne condamnation pour vol, un vieil épisode datant de dix ans avant, lorsque avec quatre copains il avait volé un survêtement dans un magasin de sport de la ville d’Avezzano. Sur la base de cette ordonnance, la préfecture de L'Aquila est allé jusqu’à le juger comme un « danger» dont elle a demandé l'expulsion immédiate du territoire italien. Peu importe s’il s’agit de quelqu’un qui vit en Italie depuis l’enfance. Enfant d’une famille qui a trois générations dans ce pays: père, enfants et petits-enfants. La police a même envoyé une voiture de patrouille pour aller le chercher à son domicile à sept heures du matin le 10 janvier, comme s’il s’agissait d’un délinquant multirécidiviste. Et le lendemain il était derrière les barreaux du centre d’expulsion de Modène, d’où il appel Tareq, tous les jours, pour lui dire de rester tranquille, qu’il revient bientôt.

Mais pourquoi cet acharnement soudain contre Kabbour? C’est aussi la question que se pose son avocat, C. Terra, qui admet: «J'ai parlé au poste de police, il y a une sorte de préjugé contre Kabbour ». Dans les autres villes italiennes, on sait que la police oblige les sans-papiers à collaborer dans les enquêtes pour drogue en donnant les noms de leurs concitoyens impliqués dans le trafique. A ceux qui collaborent on promet une vie à l’abri des contrôles d'identité, mais pour ceux qui refusent c’est la menace d'expulsion. Et dans la ville de Gioia? Non, car on disait que la police venait chercher Kabbour chez lui, la nuit et l’emmenait au poste de police. De quoi parlaient-ils? Et de quoi parlaient-ils la fois où il s’est retrouvé à l'hôpital après les coups qu'il a pris au commissariat? Est-on bien sûr qu’il soit le seul à devoir être expulsé du pays?


Mise à jour: Le papa de Tareq a été expulsé le 8 mars 2011

traduit par Veronic Algeri