19 February 2011

Noureddine Adnane. Un martyr a Palerme


Mimmo n’a pas voulu entrer dans la chapelle ardente de l’hôpital civil de Palerme pour voir Noureddine. Parce qu’il a eu le visage carbonisé par les flammes. Peur que ces images de la mort se superposent à jamais dans ses souvenirs aux images des sourires de Noureddine et de ses yeux plein de vie et de rêves. Les rêves d’un garçon de 27 ans, parti à peine majeur, en un lointain 2002, plein d’attente et de responsabilité, décidé à travailler dur en Italie pour prendre en charge ses sept frères et ses parents.

Aujourd’hui Noureddine Adnane, Franco pour les Italiens, n’est plus là. Sa dépouille est sur le chemin de retour, en direction de Ben Ahmed. Elle arrivera au Maroc aujourd’hui ou demain pour les funérailles. Sa femme Atika, une jeune femme de 21 ans, et sa fille, la petite Khadija, de deux ans et demi, seront à l’attendre, neuf ans après son départ. Qui sera capable d’expliquer à cette petite fille ce qu’il est vraiment arrivé à son père?

Les faits remontent au 10 février dernier. Noureddine prépare son étalage comme chaque jour devant le café Massaro, dans la rue Basile, dans le quartier universitaire. Il a ses papiers à jour, son permis de séjour et sa licence pour son petit commerce. Pourtant il est inquiet car la semaine passée il a déjà eu quatre procès-verbaux des agents de police. Et en effet, ce même jour, ils se représentent, vers trois heures de l’après-midi. Ils lui répètent toujours les mêmes choses, qu’il ne peux pas stationner pendant plus d’une heure au même endroit et qu’il doit continuellement bouger d’au moins 500 mètres.

Sa famille et ses amis racontent qu’à ce moment-là les agents auraient disposé la saisie d’une partie de sa marchandise, des jouets, des mouchoirs, des gants. Mais là, Noureddine commence à s’énerver, il laisse ses papiers aux agents de police, il s’éloigne et revient d’ici peu avec une bouteille d’essence dont il s’asperge, le corps, les vêtements, menaçant, un briquet à la main, de se mettre le feu. Ce qu’il se passe, à ce moment-là, n’est pas clair. Si les agents le calment ou si au contraire ils s’acharnent sur lui. Pour l’instant il n’y a pas de témoins. Seulement les caméras de la vidéosurveillance du café Massaro séquestrées pour l’instant par la juridiction qui ouvrira une enquête pour instigation au suicide.

De leur côté, les agents de police n’ont pas reconnu avoir séquestré la marchandise de Noureddine, ils ont souligné le fait que l’un des deux agents soit rapidement intervenu avec sa veste pour tenter d’éteindre les flammes sur le corps de Noureddine.

Mais parmi les Marocains de la morgue de l’hôpital civil de Palerme ils circulent différentes versions. Les agents de police ont une très mauvaise réputation. Les abus des policiers vis-à-vis des commerçants ambulants marocains à Palerme, ces derniers mois, ont été de plus en plus nombreux. Surtout de la part de ces deux agents. Leurs noms sont à la bouche de tout le monde. En particulier celui de l’agent qui se nomme Bruce Lee, autrefois militant du parti d’extrême droite de Forza Nuova, signe distinctif: une croix gammée sur son bras. Serait-il à l’origine de l’acharnement contre le pauvre Noureddine Adnane qui avec son petit commerce tentait de gagner sa vie? Les magistrats mèneront l’enquête. Nous, pendant ce temps-là, on a trouvé une autre histoire. C’est un autre vendeur ambulant qui nous l’a racontée, quelqu’un dont nous préférons garder l’anonymat pour des raisons de sécurité.

Les faits remontent au mois de janvier. Cet homme, avec permis et licence enregistrée, vend des sacs près d’un marché renommé de Palerme. Les deux mêmes agents l’emmènent avec eux. Lui, il s’y oppose en montrant ses papiers. Il insiste pour qu’ils contrôlent ses documents, pour montrer que tout est en règle, mais les deux agents le forcent à entrer dans leur véhicule. Il refuse avec toutes ses forces, alors ils l’immobilisent par terre et lui tapent la tête sur l’asphalte, le blessant. À ce moment-là, ils le menottent, séquestrent sa marchandise et le font monter sur la voiture en direction du poste de San Lorenzo, dans l’indifférence générale des passants. Une fois au commissariat, il est retenu pendant 24 heures, sans boire ni manger. Ils le laissent avec ses menottes, dans une pièce. Il y a 4 policiers et toujours les mêmes deux agents. Il y en a un qui, à un moment donné, le gifle et le jette par terre, alors que les deux autres se jettent sur lui avec des coups de pieds et des coups de poings, lui crachent à la figure, hurlent contre lui “ordure!”. Le lendemain, un procès s’ouvre contre lui pour contrefaçon et rébellion à agent de la force publique, avec quoi il risque le retrait du permis de séjour.

Accusations dont il se défendra au tribunal. Mais pour l’instant, il est venu à la manifestation de solidarité avec Noureddine. Il est à Palerme depuis 5 ans, et son père y habite depuis toute une vie. Avec les autres Marocains du cortège aujourd’hui il demande que justice soit faite. Ils sont quelques centaines à manifester dans le cortège qui part de la place Politeama, avec les étudiants et le mouvement du forum antiraciste. Ils sont tous là par solidarité avec la famille de Noureddine. C’est lui le martyr du jour. En Tunisie, c’est à partir d’une histoire un peu comme la sienne que la révolution a explosé. En Italie, il est fort probable que la révolution ne sera pas et que la vie de Noureddine ait été sacrifiée pour rien. Mais dans le fond ça ne tient qu’à nous.


Vidéo de Enrico Montalbano
Traduction de Veronic Algeri