30 September 2009

Des demeures des riches au centre d’expulsion de Rome

Il est parti sans bagages. La police l’a réveillé à six heures du matin et l'a informé qu’aujourd'hui il serait rapatrié. Il n'a même pas eu le temps de prendre une douche. Après dix-neuf ans en Italie, employé comme domestique dans les familles les plus riches de Rome, le seul souvenir que Miguel a sur lui de ce pays est une pile. Il la porte dans son estomac. Il l’avait avalé avec de l'eau de Javel il y a un mois, lorsqu'il a été informé qu'il resterait au centre d'identification et d'expulsion (CIE) de Rome pendant six mois au lieu de deux. Je l'avais rencontré lors de ma visite au Cie de Ponte Galeria, mercredi dernier. C’était l'une des âmes de la section des hommes en grève de la faim, il est arrivé aujourd'hui au troisième jour. Voici son histoire.

Certains d'entre vous se souviennent de la régularisation de Dini? C’était en 1995 et environ 250 000 immigrés avaient obtenu un permis de séjour simplement en montrant qu'ils avaient un emploi. Miguel était l'un d'eux. Quand il a quitté le Pérou en 1990, il rêvait de mettre de côté assez d'argent, tout au plus pendant deux années, et retourner en Amérique latine pour s’inscrire à la faculté de sociologie. Depuis lors, cependant, il n'a jamais quitté l'Italie. Et il se trouve derrière les barreaux du Cie de Ponte Galeria, après avoir travaillé pendant 20 ans comme domestique et jardinier auprès des familles les plus riches de Rome. D’abord 20 ans dans la maison de la célèbre styliste italienne, Anna Fendi, puis chez la famille Cavalli, l’une des maisons de couture italiennes les plus renommés, deux ans chez Paolo Bruno di Noia, général des Carabiniers, et enfin au service de l’Ambassade du Liban auprès du Saint-Siège. Son permis de séjour? Il l’a perdu en 2003. À cette époque, il travaillait au noir, et sans un contrat de travail il ne pouvait pas renouveler ses papiers. «Sans doute je me suis fait des illusions avec l'idéal de l'Union européenne - m'avait-il dit tristement - On dit que l'Union européenne a l'homme en tant que priorité, que la dignité humaine est inviolable, que ses droits sont inaliénables: cela semble vraiment une utopie. Je suis triste, très triste ... ce n’est qu’un mensonge, vraiment. »

Il a été emmené au centre de Ponte Galeria le 20 juin 2009. À la fin du mois d'août il aurait dû être remis en liberté, à l'expiration des deux mois de détention. Lorsqu'il a été informé qu'il aurait dû faire encore quatre mois, il n’as pas su le supporter. Il a bu de l'eau de Javel et avalé deux batteries. Espérant par ce geste sensibiliser les consciences sur son histoire, ses rêves brisés et les contradictions d'un pays, l’Italie qui «a perdu son honnêteté pour vêtir le costume du pouvoir.» Après huit jours à hôpital de la ville de Ostie, près de Rome, Miguel a été signalé au centre d'identification et d'expulsion. Avec encore une pile dans le ventre. La nuit, il souffrait de gastrite. Mais d’après la loi il ne souffrait pas assez pour obtenir la libération pour des raisons de santé. Mercredi dernier, avant de me saluer, il a cité Carlo Azeglio Ciampi, ancien Gouverneur de la Banque d’Italie, avouant être un grand admirateur de cet homme qui siège aujourd’hui au Sénat: «Il n'y a pas de démocratie sans pluralisme. » Il a ensuite conclu d’un ton amer: «C'est comme avec les enfants. On leur raconte l'histoire d'un monstre qui n'existe pas, pour les manipuler par la terreur. La même chose se passe dans ce pays. On a tué les juges Falcone et Borsellino, mais vous continuez à avoir peur des immigrés. »

traduit par Veronic Algeri